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applications parliculières de celui-ci. Ainsi cette psychologie nouvelle est une construction de l’auteur, un système psychologique a priori.

Il ne faut pas en conclure immédiatement qu’une œuvre de ce genre ne mérite pas considération et nous ajoutons : une considération aussi grande que le système a posteriori de n’importe quelle science physique. Telle n’est pas du tout notre pensée. Les sciences physiques, elles aussi, ont, depuis Descartes, leur système préconçu dans son principe fondamental, puisqu’elles ont pour but avoué de ramener tous les phénomènes au mouvement. S’imagine-t-on d’ailleurs bien sérieusement que le savant consulte purement et simplement la nature et n’est qu’un appareil enregistreur ? Il n’en est pas même ainsi dans l’observation accidentelle : celle-ci est basée sur la perception qui implique toujours, comme les psychologues l’ont montré, une véritable construction de l’objet perçu. La même chose est vraie de l’observation réfléchie et de l’expérimentation : mais de plus ici il y a toujours une idée a priori, surtout dans l’expérimentation, et on la décore du nom de divination du génie quand elle conduit à des expériences de vaste conséquence. Ce qui distingue les sciences a posteriori de toute science a priori, c’est, non pas leur méthode (comme c’est toujours le même esprit qui s’applique à la physique et qui s’applique à la psychologie ou à la métaphysique, il ne peut changer, en passant de l’une à l’autre, ses procédés généraux et s’imposer une métamorphose qui rappellerait celle du maître Jacques de Molière) ni leur vérité intrinsèque, mais ce caractère purement subjectif qu’on appelle certitude. Les sciences physiques font la vérification de leurs inductions ou déductions, voilà toute la différence. Mais c’est là une différence purement formelle, qui a rapport à l’esprit qui cherche la vérité, non à la vérité même. La vérification donne satisfaction à l’esprit auquel la proposition affirmée, déduite ou induite, n’a pas inspiré immédiatement cette foi profonde et intime, non rationnelle en somme, mais que rien ne remplace adéquatement. La vérification sert à aider l’esprit que le doute empêche de vivre avec sa liberté : elle enchaîne cette liberté et le voilà bien tranquille dans sa servitude. Sous ce rapport aussi les sciences a posteriori, condamnées à une marche lente, sont en revanche assurées d’une influence universelle. Toute preuve scientifique, démonstration expérimentale ou logique, a, comme telle, pour but, non d’accroître le contingent de vérité que renferme l’affirmation, la proposition pure et simple, mais de socialiser la proposition en la rendant inévitable pour tous les hommes : c’est une foi imposée, non plus, comme jadis la foi religieuse, par des tortures physiques, mais par des suggestions psychiques et rationnelles et imposée avec une infaillible sûreté. La science a posteriori est ainsi, dans son caractère propre, la despote et l’intolérante par excellence. Mais pour les esprits aventureux et, en somme, poétiques, que ne contentent pas les fragments de certitude totale que les sciences apportent péniblement, et qui sont capables par eux-mêmes d’une foi intellectuelle forte, pour ces esprits les constructions intégrales a priori, qu’elles soient métaphysiques, physiques ou psychologiques, atteignent le même but de certitude que les constructions fragmentaires a posteriori ; et quant à la vérité intrinsèque, qui peut dire, s’il fait abstraction sincère