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ma raison en ce qu’il joint à ma conscience intellectuelle l’inconcevable attribut de la Puissance.

Objection forte sans doute, à laquelle on serait tenté de céder tout d’abord. Toute vérité est en effet indépendante de mon existence empirique et des conditions mêmes qui s’imposent à toute existence empirique. Quelle qu’elle soit, je la pose en tant que vérité comme éternelle, c’est-à-dire comme indépendante de la série du temps ; et supérieure à cette série, puisque d’une vérité même relative à un certain moment, je puis dire qu’il est éternellement vrai qu’elle a été vraie à tel moment. On peut même dire plus : nous admettons — par cela seul que nous spéculons sur les choses — une hiérarchie d’idées, éternelles, chacune à son rang, dans le sens absolu du mot, c’est-à-dire s’appliquant à un moment quelconque du temps, et par là tout à fait étrangères à la série des événements, prise comme série. La hiérarchie des points de vue de la raison peut donc être distinguée, en tant qu’idéale, de toute autre vérité. Et par conséquent, lors même que je n’en ai pas une conscience actuelle, ma conscience intellectuelle n’en reste pas moins une vérité et, comme certitude fondamentale, le principe de toute vérité, que je projette en quelque façon dans l’éternel. Ce caractère d’éternité est la véritable explication des métaphysiques ontologiques. C’est cette indépendance de la vérité à l’égard de la conscience empirique que les métaphysiciens ont substantifiée en une chose éternelle, ou personnifiée en un Dieu intérieur quoique objectif ; et la preuve de l’existence de Dieu de Descartes, fondée sur la nature de la mémoire, reste peut-être la plus forte : Que devient la vérité quand je n’y songe pas, ou quand je l’oublie ?

Mais aussi, comme nous voyons, cette projection dans l’éternel de mon affirmation est donnée avec mon affirmation même. Elle en est l’accompagnement, le coefficient ou l’exposant constant : car qui dit vérité dit toujours en un sens ce qui ne passe pas. Dire : Dieu existe, c’est donc dire : il est vrai que la certitude morale est la vérité fondamentale, en insistant particulièrement, en mettant l’accent sur ce coefficient spécial de la vérité, qui est d’être éternelle. C’est dire encore, puisque cette conscience morale nous est donnée sous forme d’effort, d’activité : il est vrai que la plus haute réalité que nous connaissions c’est non pas le donné, l’être immobile, mais la liberté morale qui se pose sans cesse sans jamais s’immobiliser que provisoirement dans une forme déterminée. Même l’affirmation d’un terme