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cause psychologique est le sentiment d’une activité vitale plus intense et plus efficace : jouir et souffrir, c’est se sentir vivre plus ou vivre moins (p. 61). Aussi ne doit-on pas regarder, avec les darwinistes, la lutte pour la vie comme une simple lutte pour la préservation, mais comme une lutte pour le surplus, c’est-à-dire en somme pour l’évolution et le progrès. On ne peut davantage voir dans la peine le ressort unique de l’évolution. D’abord la condition du plaisir n’est pas la peine. Une critique serrée de cette théorie conduit l’auteur à affirmer que non seulement il existe des plaisirs directs, dus à un surplus d’activité sans douleur préalable (p. 88), mais que même ceux qui paraissent nés d’un besoin comportent, outre la satisfaction du besoin, « le sentiment d’un surcroît d’activité efficace ». Ensuite le plaisir et la douleur sont dérivés : ce qui est vraiment primitif, c’est l’action identique à l’être et au bien-être d’où naissent, avec la résistance extérieure, la peine distincte et, avec la victoire sur la résistance, le plaisir distinct (p. 92). Ces vues sur le plaisir et la douleur conduisent M. Fouillée à poser des conséquences importantes pour la théorie générale du monde et pour la morale : 1° il faut compléter l’idée de la sélection naturelle et mécanique par l’idée d’un principe interne qui est une activité capable de jouir et de souffrir, une activité psychique (p. 94) ; 2° le principe de l’action interne et du vouloir est le plaisir, la douleur n’est que le principe de la réaction sur le monde extérieur ; 3° le moteur unique de l’évolution universelle n’est pas la peine, comme le soutient le pessimisme ; 4° l’égoïsme n’est pas « radical ; l’activité peut devenir aimante ».

Entre le plaisir et la peine, d’une part, et la représentation, de l’autre, il y a rapport constant, en ce sens que tout plaisir ou toute douleur est inséparable d’un discernement intellectuel ; mais on ne peut aller avec les intellectualistes jusqu’à dire que les plaisirs et les peines se ramènent à des idées ou à des rapports entre les idées. On ne peut davantage, avec de Hartmann, les séparer de tout élément intellectuel au point de leur refuser toute qualité propre pour ne leur reconnaître que l’intensité : « ils ont leurs qualités irréductibles et caractéristiques ; ils ne sont pas seulement des phénomènes d’intensité, ni de pures relations entre d’autres faits de conscience auxquels seuls appartiendraient la réalité et l’efficacité ».

Tout autre est leur rapport à l’appétition. Celle-ci est primitive et conditionnante. La théorie opposée de Horwicz et de Stumpf rend inexplicables à la fois l’existence du sentiment et celle de l’action, qu’elle fait dériver, on ne sait comment, d’une pure passivité. Mais s’il y a primauté de l’activité sur le sentiment, il faut reconnaître aussi que l’activité fondamentale, la volonté primitive, d’où naissent peines et plaisirs, est une activité mêlée de passivité, où l’élément agréable lié à l’action efficace est continuellement contrarié et contrebalancé par un élément pénible, à savoir le sentiment d’usure et de manque, qui accompagne la passivité et la résistance subie (p. 115).

Qu’est-ce donc que l’appétition ? Elle n’est pas un simple renouvellement de mouvements déjà accomplis. L’analyse du désir montre qu’il est constitué par l’excès de la réaction volontaire et motrice sur la représentation : l’idée tend à réaliser les mouvements qui dépendent d’elle, mais ces mouvements