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dans le volume du vase, et par la répartition uniforme de leurs vitesses dans toutes les directions. Or, comme on suppose que les molécules se choquent sans perte de force vive (à la façon des corps parfaitement élastiques), le gaz constitue un système conservatif ; donc, en vertu du théorème de la phase, il devra repasser une infinité de fois par des états infiniment voisins de son état initial, c’est-à-dire par des états d’hétérogénéité marquée, et par conséquent les inégalités de l’état initial ne pourront jamais disparaître définitivement. En résumé, ou bien le gaz repasse indéfiniment par la même phase, et alors il ne peut tendre vers un état final ; ou bien il se rapproche indéfiniment de cet état final, et alors il ne peut repasser par une phase antérieure. Ainsi reparaît toujours la contradiction entre les deux principes de la thermodynamique.

Nous emprunterons encore à M. Poincaré[1] certaines considérations qui nous permettent, croyons-nous, d’expliquer cette contradiction. Pour calculer l’état apparent d’un gaz, on suppose d’abord le nombre de ses molécules fini, mais très grand, afin de pouvoir lui appliquer la méthode statistique et le calcul des probabilités : en effet, l’état apparent du gaz étant pour ainsi dire une moyenne entre les états de toutes ses molécules, les moyennes calculées seront d’autant plus exactes que le nombre des molécules sera plus grand. Pour obtenir le résultat total, au lieu de sommer ces moyennes, on les intègre, c’est-à-dire qu’on suppose le nombre des molécules infini : on remplace ainsi des sommes finies par les intégrales qui en sont les limites, et à la discontinuité on substitue la continuité, tant dans la constitution matérielle du gaz que dans les fonctions qui expriment son état. Or, tant que le nombre des molécules était fini, le mouvement était périodique, en vertu du théorème de la phase, et la période était d’autant plus longue que le nombre des molécules était plus grand. Mais si ce nombre devient infini, la période elle-même devient infinie : ce qui revient à dire qu’il n’y a plus périodicité : le gaz tend alors, comme le pendule dans le cas particulier que nous avons examiné plus haut, vers un état-limite dont il s’approche indéfiniment, et dont il ne reviendra jamais. Voilà comment, en partant d’hypothèses mécaniques qui impliquent la réversibilité, on aboutit à un résultat irréversible. On conçoit ainsi que l’irréversibilité soit un cas-limite par rapport à la réversibilité générale des phénomènes mécaniques (réciproquement, la réversibilité est un cas-limite par rapport à l’irréversibilité générale des phénomènes thermiques). L’irréversibilité n’est donc pas en contradiction avec la réversibilité : elle en est un cas particulier. Un phénomène irréversible est un phénomène réversible dont la période est infinie.

Il ne semble donc pas que de la contradiction apparente des deux principes de la thermodynamique puisse résulter « une condamnation définitive du mécanisme », même en supposant que la loi expériinenlale de l’entropie fut absolument exacte. Ce serait tout au plus une condamnation de l’atomisme et une confirmation de la physique cartésienne et de l’hypothèse du plein, puisque c’est en supposant la matière continue que l’on

  1. Cours sur la Théorie cinétique des gaz, professé à la Sorbonne en 1893.