ariste. — Sans doute. Je désire par exemple aller à Paris.
eudoxe. — Ariste, vous ne désirez pas d’abord aller à Paris, car cela est un tout, une somme de mouvements, et vous ne pouvez désirer le tout qu’après avoir désiré chacune des parties.
ariste. — Que voulez-vous dire ?
eudoxe. — Que vous devez désirer d’abord les parties du voyage, ou, si vous voulez, les moyens ou intermédiaires.
ariste. — Il me semble pourtant que je désire d’abord aller à Paris, ensuite atteindre chacun des intermédiaires qui m’en séparent.
eudoxe. — S’il en est ainsi, dans votre pensée, qu’est-ce qui existe le premier, est-ce le tout du voyage ou ses parties ?
ariste. — C’est le tout.
eudoxe. — Mais quand nous nous représentons un voyage à faire, nous disons que nous le voulons ?
ariste. — Oui.
eudoxe. — Et ainsi le tout d’un mouvement voulu existe pour nous avant ses parties ?
ariste. — Cela est vrai.
eudoxe. — Mais un mouvement n’est possible qu’à cette condition ?
ariste. — Nous avons dû l’admettre.
eudoxe. — Un mouvement n’est donc possible que s’il est voulu ?
ariste. — Il faut l’accorder.
eudoxe. — Et ainsi c’est la volonté qui effectue tout mouvement ?
ariste. — Oui.
eudoxe. — Donc tout mouvement est une action ?
ariste. — Il le faut.
eudoxe. — Mais quand je perçois cet arbre et ce clocher, dit-on d’ordinaire que ma volonté y ait quelque part ?
ariste. — On ne le dit point.
eudoxe. — Il nous faut pourtant conclure qu’aucune perception n’est possible sans la volonté.
ariste. — Oui.
eudoxe. — Nous sommes exposés à être fort malmenés. Les savants, qui n’admettent pas autre chose que le fait, nous diront que nous sommes dupes des mots ; ceux, au contraire, qui font de la volonté le plus noble pouvoir de l’homme, n’avoueront point qu’elle soit tout entière dans la moindre perception. Mais que sera-ce si nous examinons notre troisième paradoxe ? Il faut, disions-nous, que la somme de tous les mouvements possibles existe avant ces mouvements.