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CRITON.dialogue philosophique entre eudoxe et ariste

ariste. — Nier que le mouvement soit possible, voilà qui fait violence au sens commun !

eudoxe. — En aucune manière ; et ceux qui prouvent le mouvement en marchant ne savent point ce dont il s’agit. Il ne s’agit pas de nier le mouvement, mais de montrer comment il est possible. Poursuivons donc. Ne faut-il pas, pour que la perception soit possible, que vous puissiez passer par un mouvement d’un point à un point distant du premier ?

ariste. — Il le faut.

eudoxe. — Il faut donc que vous passiez par tous les intermédiaires.

ariste. — Oui.

eudoxe. — Mais ne dirons-nous pas que le nombre des intermédiaires est infini ?

ariste. — Nous le dirons. Car vouloir faire de l’étendue avec des éléments indivisibles, est la même chose que vouloir former un nombre en ajoutant les uns aux autres des zéros.

eudoxe. — Quand donc aurez-vous franchi tous ces intermédiaires ?

ariste. — Au bout d’un temps infini.

eudoxe. — C’est-à-dire jamais ?

ariste. — En effet.

eudoxe. — Servons-nous d’autres mots. Pour former le tout de votre mouvement, vous devez additionner ses parties les unes aux autres.

ariste. — Comment autrement ?

eudoxe. — Vous n’aurez jamais fini le tout si vous n’avez effectué la somme des parties ?

ariste. — Oui. Et je vois bien que ces parties étant en nombre infini, jamais je n’en aurai effectué la somme.

eudoxe. — Bien plus, lorsque l’on compte une somme infinie peut-on dire qu’on approche de la fin ?

ariste. — Non.

eudoxe. — Ou qu’on avance ?

ariste. — Pas davantage.

eudoxe. — Ainsi ce mouvement n’avancera jamais. Peut-on dire qu’il commencera ?

ariste. — On ne le peut pas.

eudoxe. — Ainsi ce mouvement n’est pas possible ?

ariste. — Non.