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ariste. — Je ne saurais hésiter, Eudoxe, car la première ne me paraît pas soutenable, et quant à la seconde, le raisonnement nous y a déjà conduits.

eudoxe. — Nous tiendrons donc pour assuré que percevoir plusieurs choses, c’est aller de l’une à l’autre par un mouvement ?

ariste. — Nous n’en douterons point. Pourtant je serais heureux de connaître là-dessus l’opinion de quelques savants physiologistes.

eudoxe. — À quoi bon, Ariste ? Toutes leurs expériences ne sauraient nous forcer à recevoir la contradiction dans nos idées ; il ne faut donc pas croire non plus que ce qu’ils diraient pour fortifier nos conclusions les fortifierait en effet. Ils voient bien ce qui est au moment où ils le voient, mais sans pouvoir prouver qu’il n’en peut être autrement ; car ils ne voudraient pas, je pense, prouver que l’œil est nécessairement immobile. Mais nous, nous cherchons le nécessaire. Eh bien, il y a donc un mouvement qui est nécessaire ?

ariste. — Sans doute. Mais au moment où j’abandonne les savants, qui se fient trop à leurs sens, je pense, malgré moi, aux sceptiques qui prétendent que le témoignage des sens est trompeur, et que le monde que nous percevons n’est pas réel. Peut-être qu’il n’existe aucun mouvement.

eudoxe. — Si je n’avais de ce mouvement qu’une connaissance sensible, je douterais s’il est réel ; aussi n’est-ce point parce que je perçois ce mouvement que je dis qu’il est réel ; au contraire, alors même que je ne le sens ni ne le perçois, je dis qu’il ne peut pas ne pas être. Supposez que je voie en songe un cheval ailé. Qui m’empêcherait de raisonner sur ce cheval comme j’ai fait sur cette table ou ce clocher. Ce que je perçois peut être une vaine apparence ; encore faut-il qu’elle puisse m’apparaître, cette apparence. Or je ne puis percevoir quelque chose d’étendu sans faire quelque mouvement. Ce mouvement est donc nécessaire.

ariste. — Je vous l’accorde.

eudoxe. — Il faut qu’il soit possible, puisqu’il est nécessaire.

ariste. — Que voulez-vous dire ?

eudoxe. — Croyez-vous que quelque mouvement soit possible ?

ariste. — Vous voulez parler des arguments de Zénon d’Élée.

eudoxe. — Je m’en garderai bien. Il me faudrait d’abord savoir avec certitude quels ils sont. Ne vaut-il pas mieux les refaire tels qu’ils ont dû être et les prendre à son compte.