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— Est-il vrai, du moins, que les contrats réels aient toujours précédé les contrats consensuels, et que jamais le simple consentement ait été insuffisant à sceller les conventions ? La distinction entre les membres de groupes divers et les membres d’un même groupe ne permet pas davantage de l’admettre. — L’évolution enfin s’arrête-t-elle aux obligations formées avec contrat ? Si son point de départ est multiple et si aucune loi fixe ne régit la succession de ses phases, son point d’arrivée est-il toujours identique ? Mais depuis que les conditions sociales se sont transformées, depuis que la presse et les chemins de fer ont accru l’importance du « public » et que les rapports des individus entre eux ont cessé d’être « personnels », le commerce serait devenu impossible, si le contrat, résultat de l’accord de deux volontés, était l’unique source des obligations : la plupart des affaires, l’usage des titres au porteur par exemple, implique la valeur juridique de promesses non encore acceptées. Et les jurisconsultes de l’école romaniste, comme Savigny, se trouvent amenés eux-mêmes à reconnaître l’incompatibilité de ces opérations avec la théorie classique du contrat.

Si enfin, après avoir étudié les législations positives, nous examinons l’idée d’un droit naturel (chap. vi), origine ou terme présumé de l’évolution juridique, qui aurait été réalisé dans le passé ou qui serait destiné à l’être dans l’avenir, nous y reconnaîtrons le mélange de deux notions très différentes du droit, dérivées l’une des rapports entre membres d’un même groupe, entre compatriotes, l’autre des rapports entre étrangers. Soit par exemple le jus naturale des préteurs et des jurisconsultes de Rome ; il s’est formé d’une part sous l’influence du jus gentium, du droit supposé commun à toutes les nations étrangères, d’autre part sous l’influence de la philosophie et de la morale stoïciennes ; et ce qui montre bien la différence de ces deux origines, c’est que les juriconsultes faisaient rentrer l’esclavage dans le jus gentium mais l’excluaient, avec les stoïciens, du jus naturale. Cette double origine d’un système de droit où l’on a prétendu voir le premier ou le dernier terme d’où partait ou auquel s’achevait nécessairement l’évolution juridique, nous permet d’expliquer les contradictions et le vague qu’il a toujours présenté et qu’il ne peut pas ne pas présenter.

Mais si toutes ces similitudes relevées par l’école évolutionniste, sont purement illusoires, et si par suite il est impossible de confondre la sociologie soit avec l’histoire soit avec la biologie, il y a d’autres similitudes qui sont réelles et dont par l’imitation et la logique sociale on peut rendre compte.

D’abord, en droit criminel (chap. i), l’élargissement du groupe social a étendu d’une part le domaine de la moralité, de la justice, de la fraternité, d’autre part la vengeance et la haine, qui reparaissent agrandies dans les guerres de revanche, vendettas des nations. Et cet élargissement est un effet de l’imitation, qui, de plus en plus, assimile les individus entre eux.

Pour la procédure (chap. ii), la généralité de certaines ordalies, comme les épreuves par l’eau bouillante et le fer rouge, s’explique par l’imitation. C’est par l’imitation aussi que se fait l’unification progressive des procédures, à la suite du triomphe du droit romain par exemple sur le droit