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ses explications aux besoins de ses élèves, et aux élèves d’obtenir des réponses aux questions que le livre ne touche pas. C’est le dialogue, comme l’a dit Platon dans le Phèdre, qui est la source de la science vivante, des raisonnements qui savent se défendre contre les objections, car ils ne sont pas réduits à des symboles inertes.

Il est cependant très instructif d’observer que ce même Platon, qui a su donner une telle perfection à la recherche de la vérité au moyen de questions et de réponses, s’est presque détourné du dialogue dans sa vieillesse[1], quoiqu’il continue encore dans ses derniers ouvrages à mettre son enseignement en questions et réponses. Les réponses n’y sont que pour la forme, presque toujours un oui ou un non, et on voit que l’auteur ne fait plus semblant de chercher la vérité avec ses élèves, qu’il l’a déjà trouvée et qu’il se hâte de la communiquer. Ce changement nous indique d’une manière très caractéristique ce que le professeur de philosophie doit toujours éviter, s’il veut maintenir en éveil la curiosité et l’intérêt de ses élèves. Il doit leur faire trouver des vérités qu’il connaît, de manière qu’il paraisse les découvrir lui-même avec eux pour la première fois. Il ne doit pas être trop dogmatique, ni vouloir avancer trop vite. Il ne doit pas rejeter directement les réponses fausses, mais essayer d’en éliminer l’élément vrai, la raison d’être tout en les limitant, de manière à conduire l’élève à une solution vraie. Souvent l’erreur ne consiste que dans une insuffisante définition des termes que l’élève emploie à exprimer sa pensée. En le forçant de se rendre compte bien clairement de la signification des mots qu’il emploie, on lui fait découvrir son erreur. En agissant ainsi, le philosophe réveillera la pensée de ses élèves, les rendra capables de juger et de critiquer ce qu’ils lisent dans leurs livres.

J’ai pu me convaincre qu’il n’est pas difficile de traiter de cette manière avec des élèves intelligents les questions les plus abstraites, et j’ai même réussi à donner en une série de questions et de réponses tout un cours de métaphysique à quelques élèves qui passaient les vacances avec moi à la campagne. Ils étaient agréablement surpris de tirer d’eux-mêmes tout un monde d’idées sur l’être, la destinée et l’origine de l’homme et de l’univers. Leur émotion prouvait bien clairement que l’intérêt qu’ils montraient n’était pas simulé.

Université de Kazan, 23 avril 1893.
W. Lutoslawski.
  1. Depuis les recherches savantes et malheureusement trop peu connues de Lewis Campbell (The Sophistes and Politicus of Plato, Oxford, 1867), confirmées par les résultats de nombreux travaux ultérieurs (Roeper, Dittenberger, Jecht, Trederking, Hœfer, Schanz, Kugler, Gomperz Walbe, C. Ritter, Siebeck, Lina, Tiemann, van Cleef — qui tous s’entendent merveilleusement à ignorer leur grand prédécesseur Campbell), — il n’est plus permis de douter que Platon a consacré sa vieillesse à écrire le Parménide, le Sophiste, le Politique, le Philèbe, le Timée, le Critias et les Lois. Voir aussi les derniers travaux de L. Campbell : Transactions of the Oxford Philological Society, 1888-89. p. 25-42 ; — Biblioteca Platonica, vol. I, p. 1-29), osceola Mo. U. S. A., 1889 ; — Classical Review, vol. III, February 1889, vol. V, October-December 1891.