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La sensation en général (en prenant ce mot dans son acception ordinaire) se compose, dites-vous, d’une partie affective et d’une partie représentative, qui est l’intuition. Je suppose que cela soit vrai, du moins on ne peut nier que les diverses sensations spécifiques se distinguent réellement les unes des autres en ce que, dans les unes, c’est l’affection qui prédomine et forme le véritable caractère de la sensation, qui tient pour ainsi dire sa forme des dispositions organiques, au lieu que dans les autres c’est l’intuition qui domine et la volonté hyperorganique qui contribue à donner la forme de la perception ; en conservant le nom générique de sensation, il faudrait donc au moins distinguer ces deux espèces très réelles sous le titre respectif de sensations affectives et de sensations perceptives ou représentatives. J’ai mieux aimé faire du terme générique un nom spécifique en appelant sensations les impressions dont le caractère propre est d’être affectives, et perceptions celles où l’intuition constitue toute la partie notable, l’affection y étant comme nulle ou insensible. Je me suis rapproché en cela du point de vue des métaphysiciens qui me paraissent avoir distingué avec le plus d’exactitude la sensation de la perception, notamment Th. Reid, Smith et d’autres philosophes de l’école d’Edimbourg qui ont compris sous le terme perception le rapport perçu d’extériorité, de causalité personnelle et étrangère, en bornant la sensation à l’effet immédiat de l’impression sur la sensibilité ; il est vrai qu’ils considèrent cette sensation comme toujours liée et simultanée avec la perception dans toutes les modifications de notre sensibilité externe et interne ; en quoi je pense qu’ils ont faussement généralisé une assertion vraie seulement dans quelques cas particuliers. Dans l’intuition visuelle, par exemple, l’affection résultante de l’impression immédiate des rayons lumineux sur la rétine est bien insensible, et il faut qu’elle le soit pour que l’intuition soit aussi claire que possible ; aussi le caractère intuitif ressort-il d’autant plus que l’habitude est plus émoussée. L’attention prouve que cette affection ne fait pas partie essentielle de la perception ou, si vous aimez mieux, de la sensation totale. Quant au toucher actif, rappelez-vous une supposition de l’aveugle n’ayant, pour organe du toucher des corps, qu’une espèce d’ongle mobile à volonté qui lui suffit pour acquérir l’idée de tous les modes de l’étendue ; les affections de chaud, de froid, de poli ou de rude composeraient-elles en ce cas nécessairement ses représentations sous des formes ou des figures tangibles,