Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le deuxième aspect du principe, l’aspect mécanique, est plus intéressant. La force est alors prise au sens mécanique, considérée


    de même de la force appelée énergie… La validité de la conclusion dépend entièrement de la constance des unités de force. Si la force avec laquelle la parcelle de métal qui représente l’unité de poids tend vers la terre a varié, l’inférence de l’indestructibilité de la matière est vicieuse. Tout revient au principe ou à la supposition que la gravitation des poids est persistante ; mais, de cette persistance, nous n’avons et ne pouvons avoir aucune preuve. Les raisonnements des astronomes impliquent une supposition pareille, de laquelle nous pouvons tirer une conclusion pareille.

    Dans la physique céleste, il n’y a pas de problème qu’on puisse résoudre sans admettre quelque unité de force. Il n’est pas nécessaire que celle unité soit comme la livre ou la tonne, de celles que nous pouvons connaître directement. Il suffit de prendre comme unité l’attraction mutuelle que deux corps exercent à une distance donnée, de sorte que les autres attractions dont le problème s’occupe puissent s’exprimer en fonction de celle-là. Cette unité adoptée, on calcule les moments que chaque masse prise à part engendre dans chacune des autres, dans un temps donné ; et, en combinant ces moments avec ceux qu’elles possèdent déjà, on prédit les places qu’elles occuperont au bout de ce temps.

    L’observation vient confirmer la prédiction. De là on peut tirer l’une ou l’autre de ces deux conclusions. Si les masses ne sont pas changées, on peut prouver que leurs énergies, actuelle et potentielle, n’ont pas diminué, ou, si leurs énergies ne sont pas diminuées, on peut prouver que les masses ne sont pas changées. Mais la validité de l’une ou l’autre conclusion dépend entièrement de la vérité de l’hypothèse que l’unité de force ne change pas. » (Premiers Principes ; trad. française, p. 171 et 172.)

    Cependant, rien ne prouve que les unités ne varient pas, et il n’est pas nécessaire de le supposer. Si toutes les longueurs, si tous les poids, sur lesquels nous expérimentons, varient de la même manière, les résultats des mesures et des pesées seront invariables, quelle que soit d’ailleurs la loi de variation des longueurs et des poids étalons, et même si ces derniers varient irrégulièrement, sans loi. La conservation de la longueur et celle du poids expriment seulement que les rapports ne changent pas, c’est-à-dire que nous n’avons pas encore trouvé d’exception à cette règle. Stuart Mill a dit qu’il se pourrait bien qu’au delà de certaine nébuleuse, le théorème du carré de l’hypoténuse ne fût plus vrai, ce qui semble absurde. Mais nous pouvons dire, avec bien plus de raison, que rien ne nous garantit qu’au delà de certaine nébuleuse la concordance entre nos longueurs et nos poids se maintiendrait intégralement. Une masse de métal pesant, au pôle, autant que dix autres masses du même ou d’un autre métal, conserve avec elles le même rapport en tous les points du globe, et, aussi, le conserverait en tous les points de l’espace céleste déjà exploré ; sommes-nous sûrs, cependant, que cette relation se maintiendrait partout ? Est-ce là une vérité absolument nécessaire ?

    Peut-on dire, maintenant, que le principe de la persistance de la Force dépasse l’expérience parce qu’il lui sert de base ? Nullement ; ce que nous observons, c’est la constance des relations entre les forces sur lesquelles nous expérimentons, et nous supposons que cette constance de rapports, et non de choses en soi, vaut pour tout lieu de l’espace et pour toute époque de la durée. C’est une hypothèse qui se trouvera peut-être un jour infirmée, ce qui obligera à la rejeter, mais elle n’en est pas moins dûment acceptable, acluellement, et, en tout cas, elle ne dépasse pas l’expérience. Est-elle logiquement nécessaire ? Non, car la négation n’en est ni inconcevable ni contradictoire. Est-elle un jugement synthétique a priori, au sens kantien ? Pas davantage, car aucune nécessité d’ordre sensible ne la préconise, elle n’est point contenue en une forme de la sensibilité.

    À moins de faire de l’unité un absolu, de la longueur et de la masse des