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Cette différence établie, voyons quel est l’usage du concept et de l’hypothèse ontologiques relativement au concept historique.

L’histoire du monde extérieur comprend celle du tout et celle des parties. L’univers, ou cosmos, si l’on admet la substance, devient un en soi, une entité qui existe sans que son existence soit compromise par le changement de son apparence sensible, c’est-à-dire par la succession ininterrompue, par le flux des multiplicités de simultanéité qui, à chaque instant de la durée, constituent sa manifestation. L’univers est ma représentation, mais il est aussi quelque chose de plus, sans quoi à chaque moment, il s’anéantirait et un autre univers renaîtrait aussitôt après. Je pourrais bien me représenter une succession d’univers, mais je ne pourrais penser un univers subsistant sous ses apparences, demeurant alors même que ses apparences s’évanouissent ; en un mot, je ne pourrais pas penser que l’univers se transforme, et l’univers n’aurait pas d’histoire.

Il en est de même en ce qui concerne l’histoire des parties. L’agrégat matériel, le cristal, la molécule, l’atome, comme sujet de changement, sont des substances, et c’est l’hypothèse ontologique que l’on invoque tacitement lorsque l’observation s’attache à suivre les états successifs d’un agrégat matériel et lorsque la description unit plusieurs simultanéités distinctes en une multiplicité de succession rapportée à un même substratum.

Un agrégat matériel, dont on retrace l’histoire, depuis une époque initiale où il s’est manifesté par un certain complexus d’apparences sensibles jusqu’à une époque finale où il se montre sous un autre aspect, différent du premier à la fois en qualité et en position sur la ligne du temps, n’est ni un phénomène, ni un groupe de phénomènes. Il est doué d’une existence distincte de celle des phénomènes qui le manifestent, il est véritablement une substance. Et qu’on ne croie point qu’il y ait sophisme à distinguer de cette façon l’agrégat — comme existence — des phénomènes qui le révèlent à chaque instant. Si l’agrégat se confondait avec les phénomènes, il ne serait point durable, puisque les phénomènes sont passagers, ou, tout au plus, il durerait ce qu’ils durent, le temps de l’aperception. Si on veut le considérer dans le temps, parler de ses transformations et de son histoire, il faut bien le différencier, l’isoler de ses apparences et admettre qu’il existe réellement indépendamment d’elles, qu’il est l’existence en soi non phénoménale dissimulée sous l’existence en soi phénoménale.