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commun et en explique la nature ? Combien encore sont vagues et équivoques, dans une théorie de la connaissance, ces termes de valeur (Werth) et de devoir (Sollen) dont nous avons grand’peine à dissocier la signification purement morale ! D’une nécessité qui n’est ni physique ni logique est-on en droit d’affirmer sans autre démonstration qu’elle est une nécessité morale, comme si ces classifications scolastiques étaient définitivement acquises ou même bien instructives ?

Ce ne sont là encore que des chicanes sans grande importance et il est vraisemblable qu’en plus d’un point M. Rickert serait en état de nous donner satisfaction. Mais il est dans sa thèse un vice plus grave, ou, si l’on veut, une lacune qui nous semble en compromettre plus la solidité ou même en amoindrir l’intérêt. Si en effet, avec M. Rickert, nous définissons l’objet transcendant « ce sur quoi se règle la connaissance », n’entendons-nous pas par ces mots que l’objet cherché doit effectivement jouer dans la connaissance le rôle d’un principe directeur ou plutôt déterminateur ? Quoi qu’on pense d’ailleurs du réalisme, qu’on admette au delà du phénomène une matière, une force, une pensée ou une volonté, il est incontestable au moins que ces hypothèses servent à organiser la connaissance, qu’elles assurent au savoir son unité et à la recherche une direction. La loi mentale, dont M. Rickert assure que chaque jugement démontre en fait la souveraineté, remplit-elle le même office ? C’est ce qui n’apparaît pas. De cet axiome : « Il faut juger, il faut opter entre deux propositions contradictoires A et B », je ne puis nullement conclure que la proposition A soit plus ou moins vraie que la proposition B. Je demeure en suspens tant qu’aucun principe nouveau ne m’autorise à m’arrêter à A ou B. Voilà donc une loi purement formelle qui ne prescrit rien, un transcendant qui ne règle rien et ne me sert point à ordonner mon savoir. Où M. Rickert se réserve-t-il de trouver ce principe de détermination qui lui manque ? Recourra-t-il, avec quelques modernes, à un acte de volonté pure ? Sera-ce au contraire la matière passive, la représentation brute qui, classée et définie par les catégories de l’entendement, lui fournira un principe de distinction ? Pourra-t-il d’ailleurs s’établir quelque relation entre la conscience en général et la conscience individuelle ? Quel sera le point de coïncidence ou d’application de la loi subjective abstraite et de la représentation concrète ? Autant de questions demeurées sans réponse, autant de problèmes dont la solution pourrait éclaircir ou même confirmer l’intéressante thèse que nous venons de résumer.

Th. Ruyssen.