Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XII. Connaître, c’est reconnaître (Das Erkennen als Anerkennen). — Toute la connaissance commence et s’achève par des jugements, par des affirmations (car nier, c’est encore affirmer). Or c’est un fait remarquable que tout jugement s’oppose à la représentation de la même manière que la volonté et la sensibilité s’opposent à cette même représentation. Ou nous voulons une chose, ou nous la repoussons ; quand une chose nous affecte, c’est toujours d’une manière agréable ou pénible. La même alternative se retrouve dans le jugement ; affirmer ou nier, c’est consentir à une proposition ou s’y refuser. Tandis que nous subissons nos représentations, nous prenons parti entre les propositions. Au lieu donc d’associer jugement et représentation pour les opposer à volonté et à sensibilité, il convient d’opposer à la représentation comme phénomènes psychiques de même ordre, sentir, vouloir et juger. Juger, aussi bien que sentir et vouloir, c’est prendre position par rapport à une valeur (Ein Stellungnehmen zu einem Werthe). Ce que j’affirme doit me plaire, et ce que je nie me déplaire. En bonne psychologie, un sentiment (Gefùhl), et un sentiment de plaisir, est seul capable de me déterminer à accorder ou à refuser mon adhésion. Tout plaisir représente pour moi une valeur. Juger, c’est proprement reconnaître cette valeur. Connaître, c’est reconnaître ou rejeter (anerkennen oder verwerfen). C’est ce sentiment sur lequel repose la reconnaissance qu’il s’agit d’étudier de près.

XIII. Nécessité de juger (Urtheilsnothwendigkeit). — Le plaisir purement sensible n’a pour nous qu’une signification momentanée et individuelle. En portant, au contraire, un jugement sur une valeur, nous sommes convaincus que notre affirmation porte sur quelque chose de durable et d’universel. Nous éprouvons un sentiment de plaisir dans lequel le désir de connaître s’arrête et se repose et que nous appelons certitude (Gewisskeit). L’évidence au point de vue psychologique est donc un sentiment de plaisir accompagné et caractérisé par la croyance à la valeur indéfinie, exlra-temporelle du jugement qui l’exprime. Cette valeur est indépendante du contenu de la conscience ; bien plus, c’est la conscience qui en dépend et qui se trouve liée par le sentiment de l’évidence. Je ne puis à volonté nier ou affirmer. « Le sentiment que j’affirme dans le jugement donne à mon jugement un caractère de nécessité. »

De quelle nature est cette nécessité ? Ce n’est ni la nécessité logique qui caractérise, par exemple, les raisonnements déductifs, car tous les jugements certains, même les jugements de simple expérience, présentent le même caractère, — ni une contrainte (Müssen), — ni une nécessité causale qui expliquerait peut-être le mécanisme psychologique, mais non pas le fait même de la connaissance. « Nous voyons donc que la nécessité de juger nous lie en tant que règle de conduite du jugement (Richtschnur des Urth ilens), parce qu’elle a une valeur ; nous ne saurions donc mieux la désigner que comme une nécessité de devoir (Nothwendiglikeit des Sollens). Elle se présente comme un impératif dont nous reconnaissons la légitimité… Ce qui détermine mon jugement et, par suite, ma connaissance, c’est le sentiment que je dois juger ainsi et non autrement. » Si j’entends un son, je suis forcé (Genothigt) de reconnaître que j’entends ce son, c’est-à-dire qu’avec le son m’est donné un devoir qui m’oblige à l’affirmation.