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une chose, mais ce qu’il y a de commun à tous les objets immanents. Et la question se pose sous cette forme nouvelle : existe-t-il un monde indépendant d’une conscience en général ?

V. Concept de transcendance. — Il est évident a priori que nous éprouverons les plus grandes difficultés pour décrire ce monde transcendant ; aucune des déterminations empruntées à l’expérience (temps, espace, etc.) ne peut convenir à ce qui dépasse l’expérience. Toute détermination du transcendant sera purement négative. Est-ce à dire que le concept en soit, comme on l’a prétendu, absolument vide ou contradictoire ? Nullement, si l’on se rappelle que toute pensée consiste en un jugement, et que par suite un concept négatif se résout nécessairement en une négation. Penser une négation, c’est encore penser ; « le concept de l’être transcendant est justement la pensée de cette négation : le transcendant est un non-contenu de conscience (das Transcendente ist nicht Bewusstseinsinhalt) ».

VI. Le transcendant comme cause. — Après avoir donné du transcendant cette détermination toute négative, y a-t-il quelque raison d’en admettre la réalité ? Un grand nombre de philosophes ont recouru, pour établir cette réalité, à l’argument de causalité : « Le monde, disent-ils, n’est qu’un phénomène ; mais au phénomène il faut, hors du monde phénoménal, une cause qui l’explique. » Raisonnement vicieux, qui transporte dans le monde transcendant un concept suscité en nous par les successions que nous observons dans les limites du monde sensible. Toute cause est de même nature que son effet et se manifeste comme lui dans le temps et dans l’espace. D’un phénomène donné, nous remontons simplement à d’autres phénomènes, sans nous rapprocher jamais d’une cause transcendante.

VII. Le transcendant comme complément. — D’autres philosophes (Volkelt, parmi les plus modernes), sans recourir précisément à la causalité, réclament un monde transcendant comme le complément indispensable (Ergänzung) du monde sensible. Ils allèguent que si la thèse idéaliste était vraie, le monde devrait disparaître et reparaître avec les états de conscience qui le représentent. Il y aurait donc une interruption entre deux points du temps, une suspension dans la durée. Mais l’argument ne saurait émouvoir que des philosophes qui admettent la transcendance du temps, qui supposent que les instants s’écoulent et que l’espace subsiste objectivement pendant que la conscience sommeille. Pour l’idéaliste qui n’admet la réalité objective ni du temps ni de l’espace, cet argument n’est qu’une confirmation de sa théorie. Lui parler d’une interruption dans la durée, c’est lui parler un langage incompréhensible. Pareil échec est réservé à toute philosophie qui tentera de trouver au monde sensible un complément positif, fatalement emprunté à ce monde sensible même.

VIII. Le transcendant et la volonté. — Un troisième groupe de philosophes infère la réalité objective d’un monde transcendant du fait de la résistance (Hemmung) qu’éprouve notre volonté quand nous cherchons à modifier l’ordre de nos perceptions. Mais si l’ordre de nos perceptions résiste à notre volonté, il en faut conclure à l’opposition de la volonté et des facultés représentatives, et nullement au dualisme d’un sujet et d’un objet indépendant.