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che : Si Descartes, dit-il, a soutenu que la volonté était plus ample que l’entendement, c’est qu’il n’a tenu compte que des idées claires, c’est qu’il n’a pas considéré la pensée dans la totalité de ses modifications qui sont en nombre aussi grand et de degré aussi variable que les changements corporels auxquels elles correspondent. Empruntant à Spinoza l’idée première de l’harmonie préétablie, Leibniz devait en reproduire aussi ce qui en était la conséquence nécessaire : les idées inadéquates de Spinoza sont devenues les petites perceptions de Leibniz.

Quant à la thèse dogmatique que défend M. Desdouits, il convient, pour la juger, de se placer au point de vue même de l’auteur, c’est-à-dire qu’on se demandera si, en prenant vis-à-vis de l’inconscient cette attitude de défiance et de restrictions, il a bien rempli le but qu’il se proposait, s’il a servi en effet la cause du spiritualisme. Or il n’y a que trop de raisons d’en douter. Tout d’abord on est frappé de ce fait que M. Desdouits, fidèle en cela d’ailleurs à l’esprit cartésien, est naturellement porté à étendre d’une façon presque inquiétante le domaine de l’activité purement organique indépendante de la pensée dont elle est la condition. S’agit-il d’expliquer ces illusions d’optique où à l’impression réelle que nous produit un objet à un moment donné se substitue l’image provenant du souvenir que nous en avons gardé, ou du jugement que nous portons sur sa vraie grandeur, M. Desdouits, se refusant à reconnaître dans ces phénomènes l’intervention d’une activité psychique, ne peut rapporter la fusion des deux représentations qu’à un processus physiologique ; il invoque à ce sujet l’autorité de M. Ribot (p. 99). Qui ne voit le parti qu’un Maudsley tirerait d’une telle concession ? S’il suffit d’un mécanisme cérébral pour rendre compte de ce qui nous apparaît comme la conclusion d’un raisonnement, l’hypothèse valable ici sera valable partout, et de proche en proche toute l’activité intellectuelle se réduira au mécanisme cérébral.

De même, accorder que l’habitude peut sortir de l’âme et se fixer dans le corps, que l’acte accompli une première fois grâce à l’effort de la liberté peut se répéter sans l’intervention d’aucun phénomène psychique, c’est avouer qu’il ne suppose pas plus, comme condition essentielle de sa production, l’activité de l’âme que l’accompagnement de la conscience, qu’il est susceptible de s’expliquer tout entier par la structure et le jeu des organes. En mettant ainsi l’âme à côté du corps, on risque de la matérialiser à ce contact, danger qui n’est que trop manifeste dans celle conception équivoque qui attribue à l’âme la conscience directe de l’effort physique, et limite la liberté morale par la résistance extérieure.

Voici qui est plus grave encore : est-il permis à un spiritualiste de parler d’états permanents de l’âme, formes ou virtualités, séparés de ses actes, qui leur préexistent et leur survivent ? La distinction de la statique et de la dynamique n’a de sens que par rapport à un système de mécanique : car l’état est par définition quelque chose de posé, comme un objet est posé dans l’espace, quelque chose d’inerte, subsistant en vertu de son inertie, c’est-à-dire en définitive quelque chose de matériel. On ne peut pas séparer l’esprit en deux parties : l’une fixée et cristallisée, l’autre qui se développe autour de la première : en rompre l’unité, c’est en détruire la spiritualité.