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lument sur la pensée de l’Éléate ? Ce qui est au contraire tout à fait merveilleux, c’est qu’on semble aujourd’hui, et M. Brochard y a quelque peu contribué, accepter unanimement cette opinion que les fameux arguments ne sont pas de méprisables sophismes. Estimons-nous heureux de ce résultat et n’accueillons pas avec trop de sévérité les thèses fondées sur cette base commune, quand même elles n’auraient pas tout d’abord d’autre mérite à nos yeux que celui d’une construction lucide apportant quelque lumière à l’esprit. Il est si bon d’y voir clair, et puis — que les philologues me pardonnent cette hérésie — cela est si commode ensuite pour comprendre des textes difficiles. J’en veux donner un exemple, en terminant : M. Brochard cite un passage de Spinoza qu’il rapproche de la pensée éléate. Plus volontiers encore que lui, si c’est possible, je consens à ce rapprochement, et ces lignes de Spinoza m’apparaissent avec une clarté que je ne soupçonnais pas. Zénon, à mon sens, aurait contribué à séparer la chose à laquelle notre fantaisie applique la détermination numérique, et que nous pouvons appeler pour cela quantité, du nombre lui-même que forment les parties distinguées par nous. Or que dit Spinoza ? « Si nous considérons la quantité telle que l’imagination nous la donne, ce qui est le procédé le plus facile et le plus ordinaire, nous jugerons qu’elle est finie, divisible et composée de parties ; mais si nous la concevons à l’aide de l’entendement, si nous la considérons en tant que substance, chose très difficile à la vérité, elle nous apparaîtra, ainsi que nous l’avons assez prouvé, comme infinie, unique et indivisible. C’est ce qui sera évident pour quiconque est capable de distinguer entre l’imagination et l’entendement, surtout si l’on veut remarquer en même temps que la matière est partout la même, et qu’il n’y a en elle de distinction de parties qu’en tant qu’on la conçoit comme affectée de diverses manières ; d’où il suit qu’il n’existe entre ces parties qu’une distinction modale, et non pas une distinction réelle. » Je n’ose pas affirmer, mais il me semble retrouver dans la distinction de Spinoza celle qu’a pu amener dans les idées la polémique de Zénon, avec cette restriction qu’elle est donnée par Spinoza au profit de la substance, tandis que c’est au profit de la science, de l’élément modal, du concept, qu’elle se serait trouvée faite après les Éléates.

G. Milhaud,
professeur de mathématiques spéciales.