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changement sous toutes ses formes, aussi bien de la forme qualitative que de la forme quantitative. »

N’accordera-t-on pas d’abord que si, aux yeux de Platon, Parménide était surtout connu, en fait de mouvement, pour avoir déclaré le monde immobile — quand les autres philosophes ont tant insisté sur le mouvement de toutes les manières, — cela suffirait à expliquer une certaine opposition dans le discours de Platon ? Il me semble utile, pour appeler cette opposition absolue et directe, de voir de près s’il ressort du texte que ce qui est immobile chez le premier est bien la même chose que les autres mettent en mouvement. Or, d’une part, il est clair que pour Protagoras et Héraclite il s’agit bien du mouvement sous toutes ses formes. Mais quand Platon donne explicitement l’opinion de Parménide, vise-t-il autre chose que le mouvement de l’Univers dans sa masse ? Cela ne me paraît nullement évident. Bien au contraire, les expressions dont se sert Platon, quand il s’agit de Parménide, désignent plus manifestement l’Univers dans sa totalité, que toutes choses capables de tomber sous les sens.

(180, E) ὰκίνητον τῷ πάντ’ ὄνομ’ εἶναι.

(183, U) τοὺς φάσκοντας τὸ παν έστάναι.

(181, A) οί του ολου στασιῶται.


Un seul mot pourrait faire hésiter, celui que cite M. Brochard : ἑν τε πάντα ὲστι… Et encore est-il impossible de traduire : le tout, l’Univers est un, etc. — Outre que les expressions que je viens de signaler rendent peut-être cette signification vraisemblable, la suite s’accorderait très bien : L’Univers est un, et cet un est fixe parce qu’il n’y a pas un non-être, à l’intérieur duquel il se meuve. Mais admettons même qu’une hésitation soit permise. Si Platon fait allusion deux ou trois fois à Parménide, dans sa discussion des opinions de Protagoras et d’Héraclite, c’est tout à fait incidemment, il n’insiste jamais directement sur les opinions de l’Éléate, parce qu’il a promis d’y venir plus loin. Nous voudrions, comme Théétète, que Socrate se souvînt de la promesse : cela seul nous permettrait de juger si l’opposition est aussi absolue que le croit M. Brochard. Or que répond Socrate à Théétète ? Il craint de ne pas comprendre suffisamment Parménide, et de trop s’écarter de sa pensée. Vraiment cet aveu n’ôterait-il pas leur importance, si c’était nécessaire, aux allusions faites incidemment à Parménide et à l’immobilité de son être, à propos de penseurs qui ont au contraire fondé tout leur système sur le mouvement de toutes choses ?

D’ailleurs le Théétète me suggère une réflexion que je soumets à M. Brochard : Platon n’y désigne jamais Zénon explicitement. Si les fameux arguments avaient été dirigés contre le mouvement, n’est-ce pas Zénon, bien plutôt que Parménide, que Platon eût nommé en opposition à Protagoras et à Héraclite ? Zénon, un peu plus rapproché de lui que Parménide, Zénon que Socrate a connu dans sa jeunesse, Zénon, dont la dialectique, si conforme à l’esprit subtil des Grecs, et de Platon, en particulier, avait pu produire une impression plus profonde encore que le célèbre poème de Parménide.

Et enfin, ne nous reste-t-il pas, en dehors du Théétète, un texte de Platon, absolument clair, celui-là, que M. Brochard connaît mieux que