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tement le quatrième argument de Zénon, celui du stade, si ingénieusement et victorieusement opposé par M. Noël à M. Evellin. Il est certain que, s’il existe des minima constituant des unités de lieu et des unités de durée, on est en droit de dire : Concevons trois droites horizontales formées de points réels contigus et disposées de façon que les points de même rang soient sur une même verticale. Supposons que la première reste immobile, tandis que les deux autres se meuvent en sens contraire de telle sorte que chacun de leurs points avance d’un rang d’un instant à l’autre ; dans un instant, un point déterminé de la troisième passera sous un point unique de la première, mais il passera nécessairement sous deux points différents de la seconde. Comme d’ailleurs les deux rencontres sont nécessairement successives, l’instant, indivisible par hypothèse, se trouvera divisé. Il serait intéressant de connaître la réponse de M. Evellin à cet argument, ainsi présenté par M. Noël ; mais il est clair qu’il ne touche en aucune façon notre théorie du mouvement discontinu, puisque nous nions l’existence d’instants indivisibles.

À l’occasion de la flèche qui vole, M. Noël soulève une discussion fort intéressante sur la définition du mouvement. Il ne veut pas qu’on fasse reposer cette définition sur l’existence d’un corps dans des lieux différents en des temps différents, parce que, dit-il, c’est un effet du mouvement et non le mouvement lui-même ; celui-ci n’est pas une succession de positions, mais « un devenir, un passage continu d’une position à une autre ». M. Noël reconnaît d’ailleurs qu’il n’y a pas de contradiction à ce qu’un même point matériel occupe en deux instants consécutifs[1] » deux points non contigus de l’espace ; « il n’y aurait pas plus de contradiction, ajoute-t-il, à ce qu’en ces deux instants le point considéré fût tour à tour sur la terre et dans la lune. Cela n’est pas contradictoire en soi. Souliendra-t-on que c’est possible ? »

Assurément, répondrons-nous, dans notre univers, tel qu’il est constitué et soumis aux lois que nous connaissons, un point matériel ne peut passer sans intermédiaires de la terre à la lune ; mais, puisque l’hypothèse n’enferme pas de contradiction, nul n’a le droit d’affirmer qu’elle vise un fait impossible en soi. Quant au passage discontinu d’un point à un point si voisin que nous ne pouvions vérifier la discontinuité du mouvement, on doit se demander quelles raisons militent pour ou contre.

Contre cette discontinuité, M. Noël fait valoir avec une réelle puissance le fait que le mouvement nous apparaît comme un état du mobile, c’est-à-dire « une dénomination intrinsèque qui doit convenir à l’objet en quelque lieu qu’il soit et quelque relation qu’il soutienne avec les autres objets ». Quelque séduisant que soit l’argument, il se heurte à la contradiction du mouvement continu, qui pour nous est absolue, et suppose en outre la négation de la relativité du mouvement. Nous ne voulons pas rouvrir ici cette grosse question ; mais nous devons rappeler la réponse qu’on doit toujours faire à ceux qui opposent à cette relativité des lois telles que celle de la conservation de l’énergie, lesquelles n’existent que si l’on choisit convenablement le système

  1. Ce qualificatif n’a un sens précis que dans la théorie de M. Evellin.