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M. Lechalas essaie de pousser la thèse aprioriste à l’absurde en montrant que, si l’on appliquait notre manière de raisonner à la physique, on devrait dire : « La loi de Mariotte ne dépend aucunement de l’expérience, attendu qu’il nous est impossible de mesurer » exactement « le volume et la pression d’une masse gazeuse ». L’analogie ne nous semble pas juste, et l’objection ne porte tout au plus que sur la première partie de notre argumentation. Nous avons d’abord montré (p. 73) que l’expérience ne peut pas justifier entièrement la géométrie euclidienne, parce que, toute mesure n’étant qu’approchée, les postulats n’auraient qu’une vérité approximative, comme la loi de Mariotte, et seraient comme elle soumis à une perpétuelle revision. Ainsi l’expérience ne nous ferait jamais connaître qu’un espace approximativement euclidien ; elle n’explique donc pas l’idée que nous avons d’un espace rigoureusement euclidien. Mais plus loin (p. 82) nous avons établi qu’on n’a pas besoin de supposer que l’espace réel soit sensiblement uniforme pour expliquer l’idée d’un espace absolument uniforme, et que cette idée résulte au contraire nécessairement des définitions a priori de l’égalité et de la mesure géométriques. C’est à quoi nous a servi la fiction de M. Poincaré. Ainsi, dans le premier passage, nous avons prouvé que l’hypothèse d’un espace réel plus ou moins uniforme n’était pas suffisante ; dans le second passage, qu’elle n’est même pas nécessaire. D’où nous avons conclu qu’elle n’a aucune raison d’être, et qu’elle est « à la fois inutile et absurde » (p. 83). En résumé, si nous soutenons que notre espace est nécessairement euclidien (d’une nécessité, non pas logique, mais rationnelle), ce n’est pas, comme le croit M. Lechalas, parce qu’il est impossible de mesurer exactement les côtés et les angles d’un triangle, mais parce que l’homogénéité de l’espace est impliquée d’ores et déjà dans les opérations de mesure, de sorte qu’on ne peut la vérifier… qu’en la présupposant.

Aussi la loi de compressibilité des gaz peut-elle dépendre de l’expérience sans que les postulats de la géométrie en dépendent, car ceux-ci sont les conditions de toute expérience et de toute mesure, même des mesures et des expériences par lesquelles on essaierait de les contrôler ; tandis que les expériences de Regnault ne supposaient nullement l’exactitude de la loi de Mariotte, et ont pu dès lors la convaincre d’erreur. Bien plus, les lois physiques en général reposent sur les postulats ou principes a priori de la géométrie, car si les lois physiques dépendent de l’expérience, celle-ci est à son tour fondée sur les lois de l’étendue, qui sont au fond des principes rationnels.

Au reste, le langage de M. Lechalas confirme implicitement les considérations qui précèdent ; il écrit par exemple : « Il n’en reste pas moins vrai que la géométrie euclidienne répond aux figures dont nous mesurons toutes les dimensions, et c’est assez pour que l’expérience ait pu et dû nous la faire choisir ». Mais le fait seul de mesurer des grandeurs géométriques suppose un mètre invariable et identique dans toutes ses positions, c’est-à-dire l’uniformité, qui est un des caractères essentiels de l’espace euclidien.

Plus haut, M. Lechalas s’exprime ainsi : « Les figures planes présentent pour nos sens le phénomène de la similitude, et la somme des angles d’un triangle est, toujours pour nos sens, égale à deux droits ». Croit-il sérieuse-