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la simple διάνοια, mais, comme celle-ci, reste discursive. Par là la νόησις platonicienne se distingue profondément de la νόησις d’Aristote. C’est chez Aristote que le degré suprême de la connaissance est bien l’intuition d’un être : la νόησις a désormais un objet transcendant au monde sensible, elle peut se prendre pour objet de sa contemplation : elle est νόησις νοήεως, elle est Dieu. Au contraire, il n’y a pas chez Platon νόησις νοήεως ; le contenu de la νόησις c’est la διάνοια encore, les formes de la science, les idées, conditions immanentes de l’intelligibilité du monde sensible ; la νόησις est, pour ainsi dire, νόησις διάνοια, une méthode, et non la clef de voûte d’un svstème.

Mais alors pourquoi l’expression mythique et figurée de la dialectique comme d’une ascension, que termine un acte de vision (ἄνω ὰνάδασιν καὶ θέαν τῶν ἄνω) ? Poser la question, c’est déjà y répondre : nous avons affaire ici à une expression mythique et figurée. La νόησις n’est pas plus une vision (θέα) que la dialectique n’est une ascension, que les idées ne sont, au sens propre, les Choses d’en haut. C’est par analogie avec le ciel sensible que nous appelons ciel intelligible le système des idées éternelles et nécessaires. Il suffirait d’analyser tel mythe célèbre, comme le mythe de la caverne, pour s’assurer que la représentation des idées comme des réalités objectives et extérieures à la pensée provient d’une analogie tirée du monde sensible. — Et si nous nous demandons pourquoi nous voulons une représentation sensible de l’idée, il faut répondre que c’est une exigence de l’amour ; l’amour est nécessairement l’amour d’un objet (τινὸς), et d’un objet extérieur à lui, puisqu’il est, par définition, le besoin et le manque de cet objet. L’idée, sans doute, en dernière analyse, est la loi et non l’objet de l’amour : l’amour, c’est l’ « enfantement dans la beauté selon le corps et selon l’âme » (τόχος ὲν καλῶ), l’amour est donc amour non de la Beauté, mais de l’enfantement dans la Beauté. Son véritable objet n’est pas éternel comme l’idée mais perpétuel comme le renouvellement de la vie (ὰθάνατον ὡς θνητῶ ή γέννησις). Mais lorsque, par l’emploi de notre réflexion, nous faisons des lois mêmes de notre pensée l’objet de cette pensée, « nous croyons que l’amour est l’objet aimé, non le sujet aimant ». C’est là une illusion que l’on peut « démontrer » par ce même raisonnement bâtard, dont les prémisses seules sont fausses, parce qu’il se place au point de vue du devenir et cherche les conditions de réalité, non d’intelligibilité de ce devenir.

Bref, on peut trouver chez Platon, avec M. Bénard, tout un système spiritualiste : un Dieu créateur et Providence, des âmes douées de l’immortalité personnelle, une matière. Mais si nous ne sommes pas abusés, ce sont là non les articulations d’un système de choses, ce sont les degrés d’une méthode. Le réel se résout en mythe, et le mythe en idée. — L’idée aristotélicienne de l’âme, la théorie de la puissance et de l’acte, l’expression même de puissance (δύναμις) se rencontrent chez Platon. Mais on pourrait, de la même façon, retrouver toute la monadologie de Leibniz chez Spinosa. Est-ce une raison pour appeler Aristote ou Leibniz le plagiaire de Platon ou de Spinosa ? — Qu’il y ait chez Platon et chez Spinosa contradiction et dualisme entre le point de vue de l’intelligible et le point de vue du sensible, le caractère de leur idéalisme est qu’ils se refusent à voir cette contradiction. L’idée adéquate est, dira Spinosa — cependant, la passion