Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(Lachès), nous nous arrêterons à cette formule : le courage est la science des maux et des biens futurs ; mais, aux yeux de la science, il n’y a nulle distinction entre le passé, le présent et le futur ; — le courage est donc la science des maux et des biens ; mais alors disparaît le caractère spécifique qui devrait distinguer le courage de la tempérance ou de la justice. — Voulons-nous définir la tempérance (Charmide), nous rejetterons nos définitions comme contradictoires jusqu’au moment où nous aurons défini la σωφροσύνη, comme science de la science (ὲπιστήμη ὲπιστήμης), comme réflexion dialectique, comme vertu unique, et non comme vertu entre d’autres vertus. — La vertu est donc une, comme la science, pour Platon ainsi que pour Socrate. Mais, aux yeux de Socrate, la dialectique, ne portant que sur les Idées morales, est purement régressive ; elle ne retient, au terme de ses analyses, que la pure forme de l’universalité, ou de la non-contradiction. La vertu ne trouve pas à s’appliquer dans le monde sensible ; elle ne peut se transformer ni en morale pratique, ni en politique. Dans les cas où une décision particulière est à prendre, nous devons nous abandonner aux suggestions de l’inspiration, du divin en nous (τὸ δαιμόνιον}. Au contraire, chez Platon, la vertu a un contenu, que lui fournit la dialectique de l’idée positive et régressive ; l’bomme vertueux, c’est le dialecticien. Et de plus il n’y a pas chez lui, comme chez Socrate, dualisme radical entre l’universel et le particulier, ou le sensible. La dialectique et le mythe sont deux points de vue harmoniques sur le même univers. De même que, au-dessous de la science absolue, une science de valeur relative est possible, faite d’hypothèses mathématiques, de même, à côté de la vertu absolue, de la vertu du sage en possession du « monde » des idées peut se constituer un système de vertus relatives et sociales. Nous pourrons, sur une physiologie du corps humain, fonder une division des vertus, l’une par exemple relative au θύμος, l’autre à l’ὲπιθυμία. Nous pourrons, sur une physiologie de l’organisme social, fonder entre les divers membres d’un même État une division des fonctions et une répartition des vertus. Au point de vue dialectique, la vertu est une ; mais au point de vue mythique, elle est pluralité, et de nouveau, contre l’opinion de Socrate, une morale pratique et une politique deviennent possibles.

Bref, la vertu, pour Platon, comme pour Socrate, se définit par la science, par la contemplation des idées : l’âme du philosophe doit, en quelque sorte, pour atteindre sa destinée, se résoudre en idées. Mais la science se réalise dans un monde sensible ; immanente (ὲνεστι, πάρεστι) à un monde sensible, elle n’est pas, elle devient. Comment traduire l’idée de devenir en langage idéaliste ? C’est pour résoudre cette difliculté que Platon adopte la forme du mythe. « Au point de vue de la raison vulgaire et du bon sens, il est impossible à l’historien de ne pas reconnaître que Platon a formellement admis et affirmé l’immortalité, et que la survivance de la personne y est comprise ». Malheureusement, ce n’est pas seulement la raison vulgaire et le sens commun, c’est la raison, la « faculté dialectique » elle-même qui est mauvais juge de la valeur du mythe ; elle y introduit les méthodes de raisonnement (λογος οὺ μῦθος)[1], qui fixent et immobilisent leur objet,

  1. Gorgias, 523.