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pouvons répondre à la question critique : qu’est-ce que la science ? À quelles conditions la science est-elle possible ? La science a pour objet l’idée ; elle est possible parce qu’elle prend pour objet la forme même de la science, la relation intelligible des éléments de l’idée, le « nombre ». Mais nous ne pouvons pas expliquer l’erreur ; car c’est une chose mystérieuse que nous puissions prendre le même pour l’autre. L’erreur, confusion du même et de l’autre, sitôt définie, se résout en science. — Au contraire, au point de vue mythique, nous pouvons rendre compte de l’erreur : nous comparerons l’àme à un morceau de cire, plus ou moins malléable, sur lequel la vérité fait une empreinte, ou à un pigeonnier, dans lequel l’âme enferme et possède (κέκτηται) mais ne tient pas (ἒχει) les vérités qu’elle y a enfermées. Mais à ce point de vue nous ne pouvons plus rendre compte de la vérité ; car si l’acquisition de la vérité s’explique par les dispositions plus ou moins heureuses, par la flexibilité plus ou moins grande des âmes, ces dispositions ne peuvent pas servir de critérium pour reconnaître la vérité ; c’est la vérité qui juge la croyance (δόξα) et non la croyance qui est marque de vérité. Tel est le sens du Théètète. — Ou encore : au point de vue dialectique, nous pouvons définir la science, et même la vertu dialectique (ή δύναμις τοῦ διαλέγεσθαι) l’état d’âme du sage qui possède la science absolue. Mais nous ne pouvons plus dire pourquoi, la vérité étant universelle, tel est sage, et tel ne l’est pas. C’est le mystère de la vertu proprement dite, de la disposition à la science. Il faut répondre que c’est le mystère des dieux, la région du mythe ; nous ne pouvons savoir pourquoi Thémislocle a été doué du génie politique, et pourquoi ce génie a été refusé à ses fils[1]. — La difficulté se ramène à une autre : pourquoi la vérité, quoique éternelle, est-elle néanmoins progressive ? Pourquoi est-elle soumise à la loi du développement ? Nous ne pouvons pas le savoir, ni pourquoi la science doit se faire maïeutique ou rhétorique, pourquoi elle doit employer le mythe au service de la dialectique. Le meilleur titre à donner à la République serait peut-être celui-ci : de l’usage pédagogique des mythes. On comprend dès lors pourquoi Platon semble attendre la régénération de la société d’un hasard heureux, de la réunion chez un même homme de la vertu dialectique et du pouvoir politique. La contradiction entre le point de vue mythique et le point de vue dialectique peut se résumer en ces termes : pour que la vérité puisse s’enseigner, il faut qu’elle se fasse vertu.

De même pour le second problème : sur l’unité ou la pluralité de la vertu, « L’idée platonicienne, dit M. Bénard, elle-même est une, mais elle est aussi multiple. L’idée du bien, base de la morale, elle aussi, est une et multiple à la fois. Elle-même se déploie en variété sans cesser pour cela d’être une en elle-même. » (P. 381.) Mais comment l’idée du bien se déploie-t-elle en variété ? C’est ce que l’on n’explique pas, et ce que l’on devrait pouvoir expliquer, si vraiment la dialectique était une dialectique morale. Or s’il y a chez Platon une dialectique de la vertu, distincte de la dialectique de l’idée, c’est une dialectique purement régressive, et qui s’arrête seulement à l’unité exclusive de toute multiplicité. Si nous voulons définir le courage

  1. Ménon, sub. finem.