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rien n’y contribua plus que la considération, peu familière à l’antiquité, de l’idée d’infini.

Un grand géomètre auquel Pascal confessa être redevable de ses premières découvertes en mathématiques, Desargues, probablement par l’observation des phénomènes de la perspective, dont il fit une science nouvelle, et où l’on voit s’évanouir, à proportion de l’éloignement, des différences de grandeur, avait été conduit à remarquer comment à l’infini se confondent les contraires. On ne peut, disait-il, le comprendre, et pourtant il faut l’admettre, notre faculté de comprendre n’étant pas la mesure de la vérité.

« En géométrie, dit-il, on ne raisonne point des quantités avec cette distinction qu’elles existent ou bien effectivement en acte ou bien seulement en puissance ny du général de la nature avec cette décision qu’il n’y ait rien en elle que l’entendement ne comprenne. » Et à propos de lignes qui convergent à l’infini : « L’entendement conclut les quantités si petites que leurs deux extrémités opposées sont unies entre elles ; il se sent incapable de comprendre l’une et l’autre de ces deux espèces de quantité, sans avoir sujet de conclure que l’une ou l’autre n’est point en la nature, non plus que les propriétés qu’il a sujet de conclure de chacune, encore qu’elles semblent impliquer (contradiction), à cause qu’il ne saurait comprendre comment elles sont telles qu’il les conclut par ses raisonnements. »

Les réflexions de Desargues durent être le point de départ de ces théories de l’infinité qui ouvrirent aux mathématiques modernes de si nouveaux et si vastes horizons. Mais on peut conjecturer avec vraisemblance que les idées sur la divinité qu’avait introduites le judaïsme et le christianisme y eurent quelque part.

L’antiquité n’avait guère vu dans l’infini qu’indétermination et imperfection. Le monde fut pour elle en général une sphère de grandeur finie. Aristote pourtant remarquait que pour s’expliquer l’éternité, qu’il admettait, du mouvement de cette sphère, il fallait attribuer au premier moteur une puissance infinie, et le Néoplatonisme mettait en son Dieu, à d’autres titres encore, avec de la puissance, de l’infinité.

Le judaïsme et le christianisme substituaient à des génies multiples, représentants des divers attributs de la nature divine, une divinité unique qui concentrait en elle ce que dispersait le polythéisme. De là il n’y avait qu’un pas à l’idée que cette divinité était sans limites, et, par suite, à l’idée qu’il en était de même du monde