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buerait la production de toute la réalité qu’il est censé soutenir, la vraie substance, l’absolu ; mais on apprend à concevoir que le monde des apparences, des phénomènes, quoique non inconditionné lui-même, non absolu, n’a pas non plus sa raison suffisante dans l’absolu ou l’inconditionné, et se maintient relativement indépendant parce qu’il s’apparaît à lui-même comme un monde de substances. À ce point de vue, il ne reste plus de difficultés à reconnaître l’unité du sujet pensant, conformément au témoignage des faits, comme quelque chose de réel, bien qu’elle ne soit pas une substance et que nous ne puissions pas, par suite, nous en faire une idée claire.

Ce sujet, dont l’unité se prouve encore d’une manière si rigoureuse, comme nous avons eu déjà l’occasion de le dire, par le fait de distinguer ce qui nous est propre et ce qui nous est étranger, reconnaît comme siens les sentiments, les désirs et autres états ou phénomènes analogues ; et, de leur côté, ces états, ces phénomènes sont de telle nature qu’ils répondent à cette manière d’être compris. Ainsi la série des idées, d’une part, et, de l’autre, la série des désirs, des sentiments et des autres états intérieurs sont disposées de telle sorte qu’elles paraissent appartenir à un seul et même moi, identique, indivisible et permanent. Elles sont si bien adaptées à cette apparence qu’il semble absurde d’affirmer que notre être, notre moi est composé, est quelque chose d’artificiel, une œuvre d’art de la nature. Mais l’analyse des faits met cette affirmation hors de doute, et la nature a pris soin d’en donner une preuve décisive dans les troubles de la vie mentale, dans les maladies de l’esprit. Comment une substance pourrait-elle ainsi se désorganiser ?

Mais si notre existence est une œuvre d’art de la nature, un composé et un produit, dont les parties et les fonctions dépendent entièrement de conditions, quelle sorte de personnalité avons-nous donc ? Et comment peut-on parler pour nous de liberté et de valeur morale ? La liberté est le pouvoir de se déterminer soi-même, et nous savons que l’individu n’a pas de soi-même, si l’on peut ainsi parler, puisque sa nature est conditionnée. En fait, il ne peut être question de liberté par rapport à aucun être, jusqu’à l’homme ; mais il est facile de voir que l’homme est libre. « Cela même, dit Spir, qui semble nous dépouiller de l’apparence de la personnalité, à savoir la découverte que nous n’avons pas d’être vraiment propre, que notre individualité n’a pas de contenu inconditionné et qu’elle a pour