Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scientifiques et l’on a eu l’étrange spectacle d’un Dieu « chassé de position en position », relégué dans un lointain de plus en plus indistinct, au grand scandale des âmes pieuses pour qui l’action divine dans la production des phénomènes est un article de foi. Mais si la philosophie n’est plus une métaphysique, si elle ne consiste plus en cette gymnastique de l’esprit qui s’évertue à assembler dans une conception contradictoire les termes les plus opposés pour la vaine satisfaction de se forger un Deus ex machina et de déplacer simplement, au lieu de les résoudre, toutes les difficultés, si elle se borne à constater les faits et la loi de notre pensée, sa tâche commence au point même où s’arrête celle des sciences, et nous n’avons plus à craindre de voir la philosophie et les sciences en venir aux mains. Par une juste conséquence, non moins importante, les sciences n’ont plus à s’immiscer dans les questions de morale et de religion. Tous les arguments qu’elles semblaient suggérer à une réflexion superficielle, au profit d’un matérialisme ou d’un athéisme vulgaires, sont ruinés par la base. Des études qui ne portent que sur les phénomènes ou les apparences dont ils sont l’occasion, ne prouvent rien ni pour ni contre un absolu qui échappe à leurs prises.

Mais elles confirmeraient au besoin cette opinion philosophique qu’il y a un principe général de la nature, un principe agissant, une sorte de Logos, par qui l’ensemble des phénomènes, actuels et possibles, est lié, et la gradation, dans le monde organique, assurée depuis les formes les plus élémentaires, à travers des structures de plus en plus compliquées, de plus en plus parfaites, jusqu’à l’homme. Encore faut-il prévenir ici une erreur assez commune : ce principe de liaison, ce principe d’une évolution impossible à nier, qui n’est autre, en réalité, que l’Inconnaissable de Spencer, nous sommes tentés de le personnifier ; nous lui trouvons, en effet, quelque parenté avec notre capacité de concevoir des fins et de combiner les moyens pour y atteindre. Mais cette parenté n’implique pas une ressemblance. La doctrine de Darwin, dont ce n’est pas ici le lieu de discuter les prétentions ou d’examiner les titres à la faveur qu’elle a conquise, vaut du moins par ses résultats négatifs ; elle a prouvé que le principe agissant de la nature est aveugle et qu’il n’y a pas trace de finalité consciente dans les effets de ce principe. Il n’est, en vérité, que le lien même qui unit les causes avec leurs conséquences et qui rend possible leur causalité. Aucune chose, c’est-à-dire aucun changement ne peut être cause que par lui ; mais il n’y a rien en lui,