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raisons de ce qui ne peut pas avoir de raisons, de ce qui ne doit pas être et n’a pas droit à l’existence, nous empêche de constater les faits, d’en tirer, par suite, les vraies conséquences, nous entraîne naturellement aux affirmations les plus arbitraires.

Une des originalités de Spir, si je ne me trompe, est d’avoir ainsi établi la vanité de toute métaphysique, d’avoir montré de cette manière la fausseté de toutes les théories par lesquelles on a essayé et l’on essaie encore de rendre compte par un seul principe de l’ensemble des choses. Malgré leur diversité, ces théories ont ce vice commun de négliger l’opposition radicale de la vérité et de l’erreur, de ce que nous jugeons moralement bon et de ce que nous jugeons moralement mauvais, et d’habituer ainsi la conscience humaine à vivre dans la contradiction comme dans son élément naturel. La forme la plus ordinaire de cette conciliation des contradictoires, la plus vénérable ou du moins la plus excusable, est celle qui fait dépendre le monde, comme de sa cause première, d’un être infini, parfait et tout-puissant, qui l’a créé et qui le gouverne. Les impossibilités logiques s’y déguisent à peine sous les noms de dogmes ou de mystères devant lesquels on s’incline, sans songer que l’on fait ainsi de Dieu, en définitive, le père du mensonge et du mal comme du bien et du vrai. Le panthéisme professe plus ouvertement le mépris de la raison humaine, et ne se sauve, quand il échappe à un matérialisme grossier, que par un mysticisme où se perd toute notion du réel. Mais la plus naïve de ces doctrines, celle qui semble cependant être le plus en faveur aujourd’hui, c’est le naturalisme, c’est la théorie des savants qui, en se raillant de la métaphysique, en font à outrance sans le savoir, qui divinisent la matière ou la force, peu importe le nom, prennent pour l’absolu les données mêmes de l’expérience, ou plutôt les apparences, corps et matière, que nous forgeons en vertu de la loi de notre pensée avec ces données et de ce prétendu absolu dérivent la pensée. Mais sans cette pensée, les éléments qui servent de support réel à l’illusion d’un monde matériel, les sensations existeraient-elles ?


Il n’y a qu’une manière d’éviter les contradictions auxquelles se heurtent ces diverses tentatives d’expliquer le monde : c’est de reconnaître comme la seule théorie rationnelle, la seule exempte, sinon de difficultés, du moins d’erreurs manifestes, la seule qui s’accorde avec les faits et la loi de notre pensée, une théorie dualiste. D’un côté, la nature, à laquelle nous appartenons nous-mêmes,