mais contre la composition du continu que sont dirigés les arguments de l’Éléate. Si, dit-il, l’Être est multiple, c’est-à-dire s’il est réellement composé de parties, le mouvement (tel que nos sens nous le montrent et que l’affirment les Ioniens) est impossible : et il le prouve. Que fait M. Noël pour répondre à cet argument ? Il substitue à l’idée du mouvement, considéré comme déplacement dans l’espace, un concept tout différent : il suppose des quantités qui ne sont données ni dans leur totalité, ni par parties successives ; il introduit la notion de puissance ; il fait du mouvement une idée rationnelle ; il considère le mouvement, ainsi que la vitesse, comme un état, une manière d’être intrinsèque et inhérente au mobile. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette savante et profonde théorie ni de rechercher si M. Noël a jugé à propos de lui donner tout le développement désirable : il s’agit encore moins d’ouvrir une discussion sur les mérites comparés du mécanisme et du dynamisme. Je me contente de remarquer qu’en raisonnant ainsi, M. Noël abandonne le terrain commun à Zénon et à ses adversaires ; il dépasse le monde des apparences ; il reconnaît implicitement qu’au point de vue où se place Zénon, il n’y a rien à lui répondre. Il n’y a donc point de sophisme. Mais n’y a-t-il point quelque injustice à répéter ce mot de sophisme à propos d’un honnête vieux philosophe, précisément au moment où on lui accorde tout ce qu’il veut ?
En effet, en substituant une idée rationnelle au concept vulgaire du mouvement, M. Noël fait exactement, quoique d’une tout autre manière, ce que fait Zénon. Zénon n’est pas un sceptique : M. Milhaud et M. Noël sont ici d’accord. C’est encore un point, qui semble acquis au débat. La thèse, qui lui est commune avec Parménide, c’est que l’Être, et très probablement il entend par là le monde étendu et fini, est un et continu, qu’il n’a pas de parties, qu’il est radicalement indivisible. C’est une doctrine à laquelle assurément on peut ne pas souscrire, mais qui n’a rien de sophistique : c’est la doctrine d’un dialecticien qui raisonne dans l’absolu, et développe intrépidement le contenu de son idée. J’ai déjà eu l’occasion de rapprocher cette conception de celle de Spinoza, dont la philosophie présente avec l’Éléatisme plus d’un point de ressemblance. « Si, dit Spinoza (Éth., I, 15, schol.), nous considérons la quantité telle que l’imagination nous la donne, ce qui est le procédé le plus facile et le plus ordinaire, nous jugerons qu’elle est finie, divisible et composée de parties ; mais si nous la concevons à l’aide de l’entendement, si nous