Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reste aussi du procédé antique, propre à la poésie, de la personnification ; on donnait ainsi à des conceptions vides une apparence d’existence réelle. C’était, pensait Aristote, produire au lieu de raisons des métaphores poétiques.

Véritablement, prenant pour réalité la généralité abstraite, croyant le genre plus réel que l’espèce et l’espèce que l’individu, on ne faisait, à mesure que l’on croyait pénétrer toujours plus avant dans la connaissance des êtres, que marcher toujours vers le vide et le néant. C’est une remarque profonde du péripatéticien Cesalpini.

De plus, dans la nature on voit partout des oppositions, mais formées de termes dont l’un, dans la réalité, est la privation de l’autre ; dans les généralités abstraites, et d’autant plus qu’elles sont plus abstraites, les contraires figurent en face les uns des autres comme sur un pied d’égalité : du non-être on dit comme de l’être qu’il est. Pourquoi l’un prévaudrait-il sur l’autre ? De là une façon de concevoir le monde d’après laquelle il n’y a pas d’espoir de voir les oppositions se concilier, et l’antagonisme parait irrémédiable.

Ce fut, plus tard, une manière analogue de voir et de procéder que celle de la Scolastique. Elle aussi prit souvent pour les objets favoris de ses spéculations des « formalités » vides, produits logiques de l’entendement ; et souvent ses fauteurs méritèrent cette appellation :

Gens ratione ferox et mentem pasta chimæris.

Kant, au temps moderne, se refusant à admettre aucune connaissance immédiate, ou intuitive, de réalités invisibles, réduisit plus strictement encore que les Scolastiques à de pures « formalités » tout ce qu’on pouvait imaginer qui dépassât les sens. De là suppression de toute science et de l’âme et de Dieu, ainsi que de la liberté humaine. Ni substances ni causes. Rien que l’intelligence puisse atteindre au delà de superficielles apparences et de lois non moins superficielles de connaissance. Et pour toute tentative d’en apprendre davantage nul autre résultat possible qu’une série d’insolubles contradictions.

Aristote était familier avec toutes les réalités, avec la nature et l’histoire, avec les sciences biologiques, morales, politiques : les constructions dialectiques et mathématiques du platonisme, ces généralisations derrière lesquelles disparaissait la vie, ne pouvaient