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être uniforme. De même, les figures que nous construisons sur les surfaces dites planes présentant, pour nos sens, le phénomène de la similitude, et la somme des angles des triangles y étant, toujours pour nos sens, égale à deux droits, nous ne voyons pas pourquoi ces faits de perception seraient incapables d’influer sur nos idées géométriques. On ne saurait nous objecter que nos perceptions n’ont pas une rigueur mathématique, car, si cette objection porte contre ceux qui prétendraient déduire exclusivement de celles-ci la géométrie, elle ne saurait embarrasser celui qui ne cherche dans l’expérience qu’un paramètre définissant une géométrie spéciale ; pour lui il est fort légitime qu’on prenne provisoirement, dans les limites compatibles avec l’observation, la valeur qui donne les résultats les plus simples.

En ce qui concerne les observations astronomiques, il est très juste de dire que la trajectoire de la lumière ne nous est pas connue et qu’une infinité de géométries non euclidiennes sont compatibles avec des mesures rigoureusement conformes à la géométrie euclidienne ; mais il n’en reste pas moins vrai que celle-ci répond aux figures dont nous mesurons toutes les dimensions, et c’est assez pour que l’expérience ait pu et dû nous la faire choisir.

La thèse que nous combattons pourrait s’appliquer aussi bien aux lois de la compressibilité des gaz, et l’on pourrait dire : la loi de Mariotte ne dépend aucunement de l’expérience, attendu qu’il nous est impossible de mesurer les volumes d’une masse gazeuse et les hauteurs des colonnes mercurielles qui les compriment, comme il nous est impossible de mesurer les côtés et les angles d’un triangle ; c’est donc a priori que nous affirmons l’inverse proportionnalité des volumes et des pressions. Regnault et autres physiciens ont dès lors eu tort de prétendre chercher si cette loi est rigoureuse ou non, puisque leurs observations étaient forcément aussi impuissantes à établir un écart que le seraient des mesures vérifiant la valeur et la somme des angles d’un triangle. Nous ne faisons qu’indiquer l’application à cet exemple de la critique de MM. Poincaré et Couturat : il serait aisé de la détailler. Cette critique a évidemment cela de vrai que, comme nous ne percevons réellement que nos sensations, on peut toujours les interpréter de façons variées ; mais l’interprétation qui réunit à la condition essentielle de la cohérence la particularité d’être la traduction immédiate de ces sensations doit être dite inspirée par l’observation plutôt qu’affirmée a priori.

Georges Lechalas.