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de M. Renouvier, une réponse autre que celle qu’y fait la géométrie euclidienne, c’est-à-dire qu’elle doit reconnaître l’indiscernabilité de deux mondes ne différant que par la majoration proportionnelle des dimensions de l’un d’eux. Il en est bien ainsi, en effet. De même que si, sur une sphère donnée, il n’existe point de figures semblables, il suffit, pour en obtenir, de prendre une seconde sphère dont le rayon soit à celui de la première dans le rapport de similitude demandé, de même, si dans chaque espace à trois dimensions, sauf l’espace euclidien, les figures ne peuvent pas être majorées avec conservation des angles, elles peuvent l’être moyennant un changement de paramètre, c’est-à-dire en les transportant dans un autre espace. Ces dernières réflexions sont dues à un adversaire éminent des géomètres non euclidiens, M. l’abbé de Broglie, qui les a produites dans les Annales de philosophie chrétienne d’avril 1890. Nous-même, dans le même périodique (octobre 1890), avons tiré la conclusion que, si l’on faisait varier simultanément, pour l’universalité du monde, dans le rapport convenable, le paramètre spatial et les longueurs, il n’existerait aucun moyen de discernement entre les mondes ainsi obtenus, absolument comme en géométrie euclidienne où, le paramètre étant infini, sa variation proportionnelle est sans influence. Il va de soi d’ailleurs que, pour être exact, dans un cas comme dans l’autre, il faut ajouter que ces variations appliquées à l’ensemble de l’univers sont dépourvues de sens, puisque, en l’absence d’un étalon, il ne saurait y avoir augmentation ou diminution si les grandeurs n’ont pas une valeur absolue : tel est le vrai sens à attribuer à l’énonciation de mondes indiscernables.

Il nous semble que ces explications répondent directement à la difficulté d’une si grande portée philosophique que soulève l’absence de figures semblables dans un espace non-euclidien. M. Couturat nous paraît laisser subsister quelque équivoque sur ce point, lorsqu’il dit (p. 83) que « le vrai nom du postulat de la similitude est : principe de la relativité de l’espace ». Si nos explications sont fondées, le postulat de la similitude dans un même espace n’est aucunement nécessaire au principe de relativité, auquel il est satisfait par la doctrine d’ensemble de la géométrie générale. M, Couturat affirme d’ailleurs que l’expérience n’est pour rien dans la tendance de notre esprit à admettre la possibilité des figures semblables, attendu que cette homogénéité de l’espace ne pourrait pas plus être vérifiée que son uniformité. Il y a là, croyons-nous, une exagération de nature à compromettre les théories aprioriques.

Partisan déclaré de ces théories en tant qu’elles déclarent l’empirisme impuissant à établir les vérités mathématiques avec leur valeur réelle, nous nous honorons d’avoir été peut-être un des premiers à soutenir que la géométrie non euclidienne leur est plutôt favorable que contraire ; mais nous ne saurions admettre l’impuissance radicale de l’expérience telle que la comprennent MM. Poincaré et Couturat.

Incontestablement, on peut supposer qu’il se produit, dans le monde matériel, des changements dans les dimensions et les formes des corps déplacés ; mais, comme nos sensations, objet propre de notre expérience, ne changent pas, l’espace idéal que nous construisons d’après elles, doit