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précisant, en dégageant de tout mélange étranger ce qu’on a pu appeler très justement le positivisme métaphysique de Kant, non en se plongeant de nouveau dans le vague dangereux du mysticisme chrétien, moins encore en se complaisant aux extases toutes littéraires d’un certain dilettantisme moderne, qu’on retrouvera le vrai altruisme, la solidarité qui enveloppe et rejoint justice et charité dans un même principe, sans faire tort à l’une par l’autre.

M. Richard a raison d’en appeler chez l’homme de l’égoïsme à l’altruisme ; mais, en opposant à la métaphysique du droit une fin de non-recevoir, il donne à l’altruisme dans l’amour une base trop mouvante, un principe trop vague, et qu’il s’interdit à lui-même de fixer par la volonté. Le sentiment comporte trop d’indécision pour qu’il soit prudent de s’arrêter à lui. Nous ne voulons pas dire que M. Richard ait penché vers l’une de ces interprétations dangereuses ; et que l’amour ne reste pas dans sa pensée ce quelque chose de fort et de sain, de naturel aussi et d’humain qu’il doit être ; mais la distance est bientôt franchie d’un sens à l’autre ; et cela seul aurait dû le faire hésiter avant de condamner la métaphysique du droit, cette philosophie de la volonté, à laquelle — c’est M. Richard lui-même qui l’affirme — l’humanité est redevable de tant de services. Elle demande quelque chose de plus que l’admiration qu’a l’historien pour les grandes choses du passé ; elle nous semble encore aujourd’hui bien vivante et fort utile.

Écartons en effet la confusion de la métaphysique du droit et de l’individualisme juridique ; et la plupart des critiques que M. Richard adresse à la première s’évanouissent. La notion de volonté purement individuelle est au fond une notion purement formelle et une véritable abstraction ; et si la métaphysique du droit fonde le droit sur la volonté individuelle, l’idée du droit ne sera pour elle qu’une forme sans contenu. C’est là précisément la principale objection que M. Richard présente et qu’il reproduit à maintes reprises contre cette métaphysique. Il oppose absolument l’une à l’autre la raison qui ne peut saisir le droit, parce qu’elle se meut dans l’abstraction pure, et l’expérience, qui nous en donne l’idée, et en suit la formation graduelle dans les notions d’arbitrage, de garantie, de délit, de dette. Cette objection nous paraît sans portée, et l’idée de ce conflit de la raison et de l’expérience nous semble assez arbitraire et fausse ; elle provient d’une définition insuffisante de l’un au moins des deux termes ; dès qu’on renonce à imposer au métaphysicien une conception individualiste du droit, on doit aussi renoncer à lui attribuer un formalisme vide ; et les deux conceptions qu’on jugeait irréductibles entre elles se réduisent à deux méthodes, toutes les deux légitimes en principe, nullement exclusives l’une de l’autre, peut-être nécessairement complémentaires, la méthode idéaliste et la méthode réaliste appliquées à l’étude de l’idée du droit.

La philosophie du droit ne prétend pas trouver le fait dans l’idée ; elle ne donne pas les droits de l’homme ou les institutions sociales pour de simples créations de la raison spéculative ; une telle prétention serait, non pas même absurde, mais puérile. Mais cette philosophie va, ce qui est bien différent, de l’idée aux faits. Lorsqu’elle dit que l’idée du droit est ce qu’il faut déterminer d’abord, elle n’entend certes pas dire que cette idée ait été