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La métaphysique du droit, œuvre de Spinoza, de Rousseau, de Kant, de Fichte, a rendu de grands services ; mais, opposée à la solidarité, faisant la conscience individuelle juge souverain des devoirs que la société peut exiger d’elle, elle reste insuffisante, trop purement dialectique, sophistique même, et ne peut résister aux objections du matérialisme juridique. Celui-ci, à son tour, supprimant le droit, ne nous tire pas d’embarras ; et il devient nécessaire de reprendre la question sur de nouveaux frais, en profitant de la connaissance des lois psychologiques et des généralisations de l’histoire.

En quoi, d’abord, l’idée métaphysique du droit est-elle insuffisante ? Elle implique une notion formelle a priori, celle d’exigibilité ; une notion empirique, celle de contrainte ; une notion empruntée à l’expérience intérieure, celle du respect de la personnalité ; et de ces trois éléments réunis résulte l’idée du contrat social. Mais cette idée est fausse ; et elle est contradictoire : car elle suppose un pouvoir préexistant qui la sanctionne. De plus, la notion du respect de la personne est ou une tautologie, ou une contradiction, ou une erreur, suivant qu’on lui donne le sens de volonté pure, de moi se connaissant en s’opposant au non-moi, ou simplement de personne empirique. Il faut donc l’éliminer en tant que notion distincte ; et il ne reste que : 1° l’idée formelle d’exigibilité, indiquant l’existence de devoirs réciproques, mais non la nature, le but, les limites de cette contrainte ; 2° l’idée empirique de contrainte, qui seule donnera un contenu à l’idée de droit. Et ce contenu existe, puisque l’homme a pu définir ses relations juridiques. L’idée du droit s’est développée suivant des lois empiriques qui s’expliquent par les faits sociaux ; et, la société n’étant autre chose que l’esprit considéré dans la totalité de ses manifestations, « c’est aux lois mentales agissant dans la durée sur les éléments fournis par l’expérience collective qu’il faut demander l’origine de la notion de droit. »

Genèse de l’idée de droit : 1° L’idée d’arbitrage. — La sociabilité naturelle se traduit, sous sa forme la plus rudimentaire, par l’association pour la lutte. Lorsqu’elle se détermine davantage, elle entre d’abord en conflit avec le minimum de concurrence vitale subsistant entre les individus d’un même groupe. Le droit est une réaction de la sociabilité qui tend à faire disparaître la concurrence. « Le droit est empiriquement un état de choses où une prétention peut triompher d’une prétention contraire sans le recours à la violence et sans la possession d’une force supérieure. » Ainsi envisagé, il repose sur l’idée d’arbitrage. Et, de fait, là où l’arbitrage existe, comme dans le procès criminel, la sociabilité est satisfaite ; là où il n’existe pas, comme dans le droit international, la concurrence vitale l’emporte encore. Les lois sortent des coutumes, et celles-ci ne sont que le résumé de sentences arbitrales accumulées.

L’idée de garantie. — Mais comment les besoins égoïstes s’inclinent-ils devant la sociabilité ? Nous avons recours à l’arbitrage social, parce que nous avons le sentiment que la société épousera notre cause. L’idée de la garantie, fondée sur la conscience de la solidarité, s’associe à l’idée d’arbitrage. Elle suppose une contrainte qui force les plaideurs à se présenter à l’arbitre et à accepter sa sentence. Pour nous, cette contrainte est celle de