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en restreint la portée universelle en affirmant que la généralisation scientifique n’a de valeur que par rapport à un phénomène considéré « et qu’elle ne saurait, chemin faisant, fournir l’explication des phénomènes différents ». Leibniz précisément enseigne que la science est tout à la fois relative et universelle. On ne saurait donc reprocher d’avoir élevé le mécanisme à l’absolu au penseur qui nous avertit expressément que la science se contente « de fictions et de détours » et que les méthodes scientifiques (la notation différentielle, par exemple) ne sont que des symboles.

Il est plus malaisé de justifier l’idée de finalité que l’idée du mécanisme, précisément parce qu’on ne peut plus en appeler à l’autorité de la science. Le philosophe doit trouver ses arguments dans sa propre pensée, le témoignage du sens commun ne pouvant rien prouver. M. Dunan n’a pas repris la réfutation de la finalité faite au nom des principes scientifiques de la nature. Cette réfutation a perdu beaucoup de sa force depuis qu’une critique philosophique plus pénétrante a montré que les principes constitutifs de la science de la nature sont les lois subjectives de notre pensée (principe de causalité, indestructibilité de la matière, conservation de l’énergie, formes du temps et de l’espace, etc.). En opposant les lois scientifiques de la nature au principe de finalité on n’oppose pas un ordre absolu et objectif à un principe subjectif de l’esprit humain, mais simplement une méthode subjective à une autre méthode subjective. Aussi bien M. Dunan s’est-il placé sur un terrain strictement métaphysique, et il faut lui en savoir gré.

En premier lieu, M. Dunan distingue clairement deux conceptions possibles de la finalité : la fin peut être conçue comme transcendante (Kant, Fichte) ou comme immanente à la nature (Leibniz, Hegel). M. Dunan examine d’abord le système où la fin est conçue comme transcendante. Il ne conteste pas qu’on puisse parfaitement et très légitimement concevoir une fin transcendante (la volonté autonome, par exemple), mais il nie qu’on puisse alors la concilier avec la nature. La synthèse ne sera pas possible. Si M. Dunan entend dire que l’esprit ne saisira pas cette synthèse, qu’elle sera incompréhensible pour la pensée humaine, il est d’accord avec les penseurs qui ont développe cette philosophie, puisqu’à leurs yeux la conciliation de la nature et de la fin n’est pas intellectuelle, mais morale et pratique. Donc cela ne suffit pas pour conclure que cette solution est inacceptable. On peut même aller plus loin encore : il est permis de penser avec Fichte que nous ne pouvons atteindre aucune espèce de synthèse absolue, et que l’idée la plus élevée que nous puissions atteindre est seulement l’idée du devoir, c’est-à-dire d’une loi abstraite encore. Nous ne pouvons dépasser la sphère de l’opposition abstraite de la nature et de l’esprit : la loi nous ordonne de nous orienter vers l’esprit, bien que cet esprit ne soit jamais pour nous qu’un idéal abstrait. La vie morale, la forme la plus élevée de l’activité humaine, est un progrès indéfini, un devoir-être ; quant à la synthèse dernière que nous ne pouvons saisir dans notre vie humaine, nous n’y renoncerions pas absolument, mais nous la rejetterions dans un monde supérieur. Il n’y aurait d’ailleurs point de raison dogmatique suffisante pour nous empêcher de couronner cette doctrine morale par une