Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme le fait l’analyse — entre la mathématique de l’espace, la géométrie et la mathématique du temps, l’arithmétique et l’algèbre. Sans doute, l’espace étant plus concret que le temps, on remarque plus facilement les éléments empiriques qu’il contient (le fait qu’il a trois dimensions, par exemple) ; mais nous ne pensons pas que le temps soit purement rationnel. Le temps et l’espace ont en effet le même caractère empirique d’être constitués de parties extérieures les unes aux autres. On accordera sans doute que, métaphysiquement et même logiquement, le sort de l’espace est lié à celui du temps et qu’on ne saurait considérer l’un comme une forme pure a priori, l’autre comme un agrégat empirique. Si donc on affirme avec l’analyste qu’il y a dans l’espace des éléments empiriques, il faut le dire aussi du temps : donc ni l’arithmétique, ni l’algèbre — qui n’est en définitive qu’une généralisation de la première — ne sont absolument pures de toute détermination particulière et empirique. Elles présupposent le nombre, c’est-à-dire la répétition et la succession, donc une multiplicité empirique.

D’autre part il ne semble pas que le jugement mathématique (nous prenons le plus abstrait des jugements scientifiques ; pour les autres, il n’y aurait point de doute) soit synthétique dans le sens où l’entend le métaphysicien : le jugement synthétique absolu enveloppe son contenu et l’explique définitivement, il est nécessairement achevé ; or il paraît sans contredit que dans le jugement scientifique le contenu reste toujours extérieur à lui. Par exemple, qu’on prenne une formule analytique quelconque, soit celle-ci : Le produit des extrêmes est égal au produit des moyens ; elle est vraie pour toute espèce de quantité ; elle est donc indifférente à son contenu ; mais elle n’aurait aucun sens s’il n’y avait aucune espèce de quantité particulière. Le jugement scientifique est donc formel et toutefois il a un contenu ; c’est donc que ce contenu lui est à la fois extérieur et nécessaire. Le jugement scientifique est, pour emprunter une expression de Hegel, un jugement extérieur. L’analyste a donc raison au point de vue de la méthode lorsqu’il affirme l’indépendance de la méthode scientifique par rapport à tout contenu ; ce n’est qu’à ce prix qu’on fixera à la science le caractère nettement a priori qu’elle doit avoir. Cependant il ne faut pas oublier que l’indépendance de la forme par rapport au contenu, l’extériorité du jugement scientifique, signifie que la science ne saurait rendre compte elle-même de sa nature, qu’elle est relative ou, si l’on veut, pour employer une vieille expression, contradictoire[1], ce qui ne veut pas dire qu’elle est fausse, mais que sa forme est extérieure à son contenu.

Nous reconnaissons ainsi que le jugement scientifique a besoin d’un certain contenu particulier ; mais en essayant d’établir que ce contenu est extérieur à sa méthode, on conserve à cette même méthode sa portée universelle. Or c’est ce que ne fait point M. Dunan. Il accorde bien que la science ne peut se passer de toute espèce de contenu particulier, mais il

  1. D’ailleurs ce conflit qui existe dans la science entre sa méthode et son contenu et que nous avons essayé de caractériser en suivant une méthode scolaslique, naît en quelque sorte spontanément au sein même de la science : par exemple les arguments de Zénon.