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finie du mouvement est aussi nettement posée en fait que la longueur finie du chemin à parcourir, et où, le mouvement étant uniforme, la dichotomie s’appliquera simultanément et parallèlement au temps et à l’espace. C’est le fameux problème de l’Achille. Achille s’élance à la poursuite d’une tortue, allant naturellement plus vite qu’elle. Quand il aura franchi la distance qui le sépare de la bête, celle-ci aura parcouru un chemin égal à une certaine fraction de cette distance. Quand Achille aura parcouru lui-même ce petit chemin, la tortue se sera avancée d’une nouvelle longueur plus petite, et ainsi de suite : chaque fois qu’Achille aura franchi l’intervalle qui le sépare de la tortue, celle-ci se sera avancée d’une fraction de cet intervalle, Achille n’atteindra donc jamais la tortue. Je n’ai pas besoin de répéter ici les réflexions que nous a suggérées le premier argument, ni de vous dire qu’il donne lieu aux mêmes interprétations.

Cependant, s’ils visaient la formule pythagoricienne « les choses sont nombre ou pluralité » sous sa forme générale, ces arguments, vous l’avez remarqué, ne s’attaquaient pas, directement du moins, à la conception spéciale des choses à l’aide d’éléments indivisibles, de points unités, que nous avons signalée chez les Pythagoriciens. Jusqu’ici il est question, dans la dialectique de Zénon, de parties d’espace ou de temps diminuant sans doute et indéfiniment, mais aussi indéfiniment divisibles. Que l’on accorde à l’Éléate que les choses étendues pas plus que les durées ne sont nombres de semblables éléments, on ne sera pas nécessairement conduit à rejeter la conception de l’étendue et de la durée comme sommes de points et d’instants.

Zénon répondra d’abord par le célèbre argument de la flèche qui vole. Elle est au repos, dit-il, car à chaque instant elle occupe une position déterminée, à chaque instant donc elle est immobile. Conclusion : il est absurde de supposer que la durée est une somme d’instants[1].

  1. Aristote a dit bien clairement déjà que l’absurdité du sophisme tient à cette hypothèse. Sa position d’ailleurs, à l’égard des arguments de Zénon, est assez intéressante. Il y voit des sophismes, dont il s’attache à faire ressortir le point faible. Certes il ne voit pas que ce point faible est celui que veut justement attaquer Zénon, mais il suffit d’avoir cette hypothèse présente à l’esprit, en lisant Aristote, pour trouver dans sa discussion de quoi confirmer et éclaircir les vues que nous exposons ici. Par exemple, à propos de la flèche. « L’erreur de Zénon, dit-il (Phys., livre VI, ch. xiv), ressort de ce que nous avons dit ; car le temps ne se compose pas d’instants, comme il semble le croire, pas plus que nulle autre grandeur ne se compose d’indivisibles…. » Aristote déclare donc