la loi du nombre de M. Renouvier. Vous voyez donc par là, plus clairement encore que je n’aurais pu vous le faire comprendre, que la loi du nombre doit être affirmée au moins implicitement pour que l’argument de Zénon conduise à la contradiction de la dichotomie illimitée et du mouvement. Et s’il plaît aux partisans de la discontinuité de la matière de conclure ensuite à l’impossibilité de la dichotomie illimitée, il est tout aussi rigoureux, pour un défenseur de la conception éléate de l’être, et partisan par conséquent de la dichotomie illimitée, de conclure au rejet de la loi du nombre[1].
Cet argument courait le risque de n’être pas clairement compris. L’impossibilité pour le mobile d’atteindre jamais l’extrémité du chemin semblait provenir, non pas du postulat pythagoricien, que Zénon voulait combattre, mais simplement de ce que les temps successivement employés à parcourir les petits chemins dépassent, en s’ajoutant, toute durée imaginable. Pour obliger son adversaire à écarter cette difficulté spécieuse, Zénon lui offre un exemple où la durée
- ↑ Depuis Aristote, on a généralement réparti les arguments de Zénon en deux catégories : les arguments contre la pluralité, les arguments contre le mouvement. Nous croyons avec M. Tannery que Zénon n’est pas un sceptique qui ait voulu nier le mouvement. On dit couramment, il est vrai, que Parménide a affirmé l’immobilité de l’être, mais il ne peut être question ici que de l’Univers pris dans son ensemble ; il s’agit du monde qui, suivant l’expression de l’Éléate, a la forme d’une masse sphérique, arrondie de tous côtés. C’est par des raisons logiques que Parménide arrive à nier la rotation de cet Univers, mais ses conclusions à cet égard ne sauraient viser que le monde tout entier, les phénomènes individuels étant du domaine du sens commun et échappant au domaine de la vérité. La négation des phénomènes élémentaires de mouvement ne se trouvant ni chez Parménide, ni chez Zénon, en dehors de ses fameux sophismes, il n’y a pas de raison, en dehors de la discussion même de ces sophismes, de les interpréter dans ce sens. M. Brochard a bien voulu supprimer la distinction classique des arguments contre la pluralité et des arguments contre le mouvement. C’est, à ses yeux, parce que Zénon nie la pluralité qu’il nie le mouvement. Mais son interprétation laisse toujours supposer que la négation du mouvement est le but d’une partie de sa dialectique, au lieu d’être un moyen. En outre, ce qu’il entend par la pluralité, combattue par Zénon, c’est la décomposition possible et illimitée du continu en parties, comme M. Renouvier. Il nous apparaît comme beaucoup plus clair et beaucoup plus probable, après la lecture du chapitre consacré par M. Tannery à Zénon, que la pluralité combattue est la pluralité réalisée, en acte, celle qui s’accorde avec l’idée pythagoricienne, celle qui seule permet de dire que la chose multiple a un nombre ou est un nombre. Ainsi compris, tous les arguments de Zénon présentent une unité de vue parfaite. Nous ne donnons ici que les quatre sophismes qu’Aristote énonce dans le VIe livre de sa Physique, sous la dénomination de sophismes contre le mouvement. Simplicius nous a conservé dans des fragments d’Eudème d’autres arguments, ceux que Zeller, par exemple, appelle « sophismes contre la pluralité ». Si nous n’en parlons pas, c’est que nous n’y trouvons rien qui ne soit implicitement indiqué dans les autres, d’après l’interprétation que nous donnons ici. (Voir Tannery, p. 253 et sq.)