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sensibilité à cette forme antérieure de l’Être, qui est, à l’égard de ce qui n’est pas elle, exclusion et négation. Cependant, si l’insuccès de ses prétentions ramène peu à peu l’individu à ce qu’il est vraiment, l’individu se conçoit en relation immédiate avec l’Être infini ; il s’aime en sa raison qui s’affirme, en sa vie qui se fonde, en sa destinée qui se constitue. Et, par ce concours de l’homme, l’Être s’est concilié avec soi-même, il s’est réalisé, il s’est conquis. Dieu, qui s’était révélé hors de lui comme nature, se révèle en soi comme esprit. L’Être est moins désormais la substance infinie que la pensée éternelle ; il est avant tout cet amour intellectuel que Dieu éprouve pour soi et pour les hommes, « non pas en tant qu’il est infini, mais en tant que sa nature peut s’exprimer par l’essence de l’âme humaine considérée sous la forme de l’éternité ». La moralité de l’homme a donc son principe dernier dans cette sorte de progrès idéal par lequel l’Être tend à se réaliser pleinement en traversant les êtres pour les unir à lui dans la Béatitude et la Gloire. Et si ce progrès auquel tient tout le développement de la vie humaine et de l’existence concrète n’est pas suffisamment expliqué et déduit par Spinoza, il est supposé et traduit par la marche même du système. Il y a, consubstantiel au Dieu qui est de toute éternité, un Dieu qui de toute éternité devient, et notre moralité est précisément le Dieu qui en nous devient et que nous amenons en quelque sorte par notre propre vertu à la pure conscience de soi ; notre moralité, c’est la vie en Dieu et c’est la vie de Dieu.

Telle nous apparaît la doctrine de Spinoza. Elle tient la notion de qualité morale pour une notion factice qu’il faut résoudre en une conception métaphysique et religieuse. Elle s’exprime en un système dialectique où la puissance de la nature et la puissance de la raison, l’affirmation de l’individu et l’affirmation de Dieu sont si intimement unies qu’il n’y a aucune place dans l’ordre des choses pour l’autorité extérieure, pour la règle abstraite, pour l’œuvre sans foi, pour la science sans amour. Elle s’achève et conquiert tout son sens dans cette théorie de l’amor intellectualis qui termine le cinquième livre de l’Éthique. Elle prétend être la forme interne en laquelle les âmes se comprennent et se réalisent, et être ainsi pour elles, non pas une simple science théorique, mais la science de la vie, la religion véritable. Elle tâche de constituer par la seule force de la pensée libre l’équivalent de ce que le christianisme avait apporté aux hommes ; et de fait elle cherche souvent à traduire dans un langage rationa-