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toutes ses manières d’être sont déterminées par les choses ; sa volonté est contrainte. À la fin du cinquième livre, Dieu est le principe de la vérité bien plus que le principe de l’être ; de ses attributs en nombre infini, un seul paraît le déterminer effectivement : la Pensée ; même la Pensée semble avoir perdu son impersonnalité première ; elle est immédiatement unie à des êtres pensants, qui se conçoivent comme libres dans la raison de leur être ; Dieu, qui était impassible, éprouve dans la Gloire la joie d’un amour infini. N’y a-t-il pas là une opposition manifeste et une contradiction insoluble ?

L’opposition est manifeste sans qu’elle soit immédiatement contradictoire ; peut-être exprime-t-elle seulement une différence de points de vue dans l’intelligence et une différence de moments dans l’intelligibilité de l’absolu. On peut soutenir qu’il y a, selon le spinozisme, une dialectique interne de l’Être. L’Être est d’abord posé en soi dans une sorte d’identité formelle et purement négative ; il est ce qui exclut autre chose que soi, ce qui est par conséquent antérieur à tout. Substantia prior est natura suis affectibus. Peut-être n’est-il encore sous le nom d’Être que la pure forme de l’Être, ce qui ne peut être rejeté si l’on ne veut pas affirmer le néant absolu. C’est par voie d’élimination qu’il est surtout posé, parce qu’il n’a de rapport qu’avec lui-même ; tout ce qui le déterminerait du dehors serait une négation. Mais précisément parce qu’il s’oppose à toute détermination externe, l’Être tire de soi son principe de réalisation ; il tend, pour ainsi dire, à se remplir, et voilà pourquoi il se révèle en des êtres. Seulement cet acte, par lequel il sort de son identité pure, doit être adéquat à son infinie puissance, et il doit par conséquent engendrer autre chose que des copies défectueuses de cette puissance. L’Être serait infécond s’il se répétait en de vaines images, s’il agissait simplement comme modèle, et il se limiterait si ces images prenaient quelque consistance et lui dérobaient une partie de son être sous sa forme propre. L’Être qui se réalise ne se reproduit pas : il produit. Or il n’y a que des individus qui puissent l’exprimer sans le borner ; et la raison qui unit par les attributs l’infini et les êtres est une raison vivante, puisqu’elle est, non plus seulement l’identité de l’Être avec soi, mais l’identité de l’Être avec les êtres. L’existence est donc fondée sur la nécessité de concevoir dans l’éternelle vérité à la fois ce qui est le même et ce qui est autre ; et peut-être faut-il penser que si l’individu existant s’établit d’abord dans l’erreur et dans le mal, c’est qu’il participe par l’imagination et la