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véritable, c’est notre vie éternelle ; et si nous pouvons appeler la vie présente une épreuve, c’est uniquement en ce sens que nous éprouvons par elle ce que nous sommes de toute éternité. La destinée que nous remplissons n’est donc pas l’œuvre d’un caprice, ni d’un instant ; elle est fondée en Dieu et par Dieu ; elle est tout entière éternellement dans la raison individuelle que nous sommes et dans l’amour dont nous nous aimons en aimant Dieu.

Ainsi, selon la philosophie de Spinoza, l’origine et la fin de notre vie sont identiques. Ce qui est vrai n’a pas besoin du temps pour être vrai ; et l’on dirait que le système lui-même travaille à effacer, par la rigidité de ses formules, ce qui n’est pas réalité achevée, acte complet, ce qui est simple mouvement, simple passage à l’acte. Il y a dans l’accent de la parole spinoziste comme une résonance d’éternité. Mais c’est ici peut-être que la doctrine rencontre la difficulté la plus grave. Pourquoi l’Être, s’il est absolument d’une existence actuelle, se révèle-t-il comme tendance, comme puissance relativement indéterminée ? Quelque effort que l’on fasse pour réduire au néant ces objets de la sensibilité, qui, élevés à l’infini, sont l’erreur et le mal, il n’en reste pas moins qu’il y a, en dehors de l’Être plein où toute affirmation est fondée, des possibilités qui le dépassent ou le limitent. Pourquoi donc l’immédiate vérité n’est-elle pas l’objet d’une affirmation immédiate ? Et en vertu de quelle nécessité est-elle obligée de se borner ou de se voiler elle-même pour prendre la forme du contingent et du temporel, si illusoire qu’elle soit ? Il semble que pour tout expliquer, l’Être absolu doive contenir en soi un principe d’intelligibilité capable d’embrasser non seulement ce qu’il est, mais ce qu’il paraît être. Le contient-il véritablement ?

On a dit souvent là-dessus que la doctrine de Spinoza n’était pas homogène ; on s’est appliqué à montrer qu’il y avait en elle certaines contradictions qui peuvent se ramener à une contradiction générale. La conception de Dieu telle qu’elle est présentée au premier et au second livre de l’Éthique, ne s’accorde pas avec la conception de Dieu telle qu’elle est présentée à la fin du cinquième livre, dans la théorie de la vie éternelle. À l’origine, Dieu est surtout l’Être infini qui se manifeste par une infinité d’attributs : il est supérieur et étranger à toutes les formes particulières de la sensibilité et de l’activité humaines ; il est impassible et impersonnel ; il n’a ni entendement, ni volonté, au sens ordinaire de ces mots ; il est puissance et pensée. L’homme n’est ainsi qu’une simple portion de la nature ;