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à coup depuis cinquante ans. La philosophie n’a d’ailleurs jamais cessé d’exercer une action plus ou moins grande, plus ou moins secrète, selon les temps, sur les sciences et sur les croyances. Cependant elle avait perdu à la fois de son crédit et de son influence en France à la suite de l’établissement de l’éclectisme cousinien comme philosophie d’État. À plus d’un signe, il est permis de croire qu’elle commence à reconquérir l’une sinon l’autre. En tout cas, il nous semble désirable et bon, bon pour l’avenir, bon pour le temps présent, qu’elle fasse effort pour reprendre son empire. Ce temps est très agité. Les conditions mêmes de l’équilibre intellectuel et moral manquant, les esprits se séparent et se dispersent. Les uns, désespérant de la pensée, retournent aux autels familiers, ou remontent le cours de la tradition et se réfugient — en songe — dans un christianisme très simple, très doux et très triste. Quelques-uns rêvent de révélations inouïes ; d’autres s’enfoncent dans des études spéciales, se bornant à poursuivre comme machinalement la tâche commencée. Et cependant le sol de la société paraît près de se soulever sous l’action de forces aveugles et terribles. Au milieu de ces inquiétudes, entre le positivisme courant qui s’arrête aux faits, et le mysticisme qui conduit aux superstitions, la lumière de la raison est aussi faible, aussi vacillante que jamais. Il est probablement impossible qu’elle éclaire le travail de la foule humaine ; mais que du moins ceux en qui elle brûle silencieusement — comme la lampe des soirs laborieux — se rapprochent ; qu’ensemble ils en avivent la flamme ; qu’ils essaient de la faire briller sur des hauteurs visibles à tous les regards qui voudront s’y diriger.

Pourquoi ne pas dire publiquement que l’idée de cette tentative appartient à des jeunes gens ? Ils ne sont pas, ils ne seront peut-être jamais des philosophes ; mais ils sont de fervents amis de la philosophie. Ils croient devoir beaucoup, leur conscience intellectuelle même, à l’enseignement de la philosophie qu’ils ont reçu dans l’Université. Ils voudraient que la vertu de cet enseignement fût connue de tout le monde, afin qu’on hésitât un peu plus à en priver les générations qui vont suivre. À mesure qu’ils ont fréquenté un plus grand nombre des maîtres de la jeunesse, ils ont été frappés de voir s’épancher dans l’intimité d’un commerce bienveillant tant de savoir, tant de pensée qu’ils ne retrouvaient pas dans les livres, dans les revues savantes. Comme ils entendaient toujours vanter l’incessante production de la pensée allemande, la saveur de l’esprit anglais et l’originalité des