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posent aujourd’hui les sciences sociales.

Substanzbegriff und Funktionsbegriff, par Ernst Cassirer. 1 vol. grand in-8, de xv-459 p., Berlin, Bruno Cassirer, 1910. — Nous ne saurions avoir l’ambition de donner la moindre idée du grand ouvrage ou l’éminent auteur du Problème de la connaissance dans la philosophie et la science modernes a condensé ses vues systématiques. Tout l’ouvrage est dominé par l’opposition indiquée dans le titre entre la chose et la relation, la substance et la fonction. Dans un ier chapitre M. Cassirer étudie la formation du concept ; il réfute sans peine la théorie qui dérive les concepts mathématiques d’abstractions opérées sur les corps ; il montre que toute formation du concept suppose un acte de synthèse, la formation d’une série (p. 19). L’égalité entre deux contenus quelconques n’est pas donnée comme un contenu nouveau ; la ressemblance ou la dissemblance n’apparaît pas comme un élément d’impression sensible : la liaison des éléments est toujours créée par une loi générale de juxtaposition et de coordination, par une règle de progrès toujours la même, quelque grand que soit le nombre des membres où elle se manifeste ( M. Cassirer se réfère sur ce point aux travaux d’H. Cohen et de P. Natorp). La catégorie en cause n’est pas celle de chose avec ses qualités, mais celle de tout avec ses parties. Le concept mathématique, en d’autres termes, apparaît comme bien distinct du concept logique (Cassirer rattache sa théorie à celle de Lambert sur la généralité des concepts mathématiques). À la logique du concept d’espèce, subordonnée au concept de substance, s’oppose la logique du concept mathématique de fonction. Mais ce concept mathématique renferme en soi, selon Cassirer, le schéma, le type général sur lequel s’est progressivement conformé le concept moderne de nature, dans son évolution historique : c’est à la démonstration de cette thèse intéressante qu’il consacre la seconde partie du livre, intitulée le système des concepts de relation et le problème de la réalité.

Le iie chapitre traite des concepts numériques : le concept de nombre y est étudié, non pour lui-même, mais comme type de formation de purs « concepts fonctionnels ». Il critique le sensualisme et le nominalisme mathématiques, montre que la théorie sensualiste se heurte au fait de l’arithmétique scientifique, que « l’arithmétique des petits cailloux » enlève aux concepts arithmétiques la détermination qui leur est essentielle, que le nombre n’est pas une copie conceptuelle des impressions intérieures, mais le résultat d’une juxtaposition et d’une coordination idéales par lesquelles nous unissons en unité systématique des « éléments absolument hétérogènes ». Après un examen savant des théories de Frege, Dedekind, Kronecker, Russell (théorie des « classes » ) il conclut que les nombres sont des termes de relations qui ne peuvent jamais être dissociés mais qui sont toujours « donnés » les uns avec les autres.

Le concept d’espace et la géométrie font l’objet du iiie chapitre. Selon M. Cassirer la réduction des relations métriques à des relations géométriques dans la mathématique moderne réalise cette pensée leibnizienne que l’espace, avant d’être déterminé comme quantum, doit être conçu dans sa particularité qualitative originale qui est d’être l’ « ordre des coexistences possibles », l’ordre dans la juxtaposition. La mathématique n’est pas la science générale de la grandeur, mais de la forme (p. 121). La notion qui occupera la place traditionnellement assignée à la quantité sera la notion d’ordre. En même temps la tendance de la mathématique est d’éliminer les éléments « donnés » comme tels, de fonder les concepts et les propositions sur une construction. La logique de la mathématique est une Logik des Ursprungs telle que l’ont définie Grassmann et récemment Hermann Cohen.

Le ive chapitre, sur la Formation du concept dans les sciences de la nature est l’un des deux ou trois plus importants de l’ouvrage (il tient d’ailleurs plus de 150 pages) et à coup sûr le plus instructif : on y trouvera d’importantes recherches sur l’histoire de la méthode physique, sur le concept d’expérience dans l’antiquité, sur l’idée d’hypothèse (notamment chez Kepler et Newton), sur l’expérience dans la physique mathématique ; des remarques inspirées de Duhem sur le fait et la théorie physique, sur l’atomisme, sur l’évolution du concept de chose et de substance, sur les qualités sensibles, sur l’espace absolu et l’espace intelligible, sur l’énergie définie « pur concept de relation » (p. 149-199) et les conditions de l’énergétique, enfin sur la théorie du concept en chimie et les lois chimiques. Ce chapitre, qui à la rigueur se suffirait à lui-même, constitue une véritable revue de la science, et de la science la plus moderne.

Le ve chapitre étudie le problème de l’induction, critique la théorie du jugement empirique (Locke, Mach). Le vie analyse le concept de réalité objective et