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d’abord la nature du génie, puis les divers modes de la création artistique. Après quoi, il se sent en état de résoudre les Problèmes de l’Art et de la Beauté, et c’est l’objet de la dernière partie de son ouvrage.

Peut-être, avant d’aller plus loin, pourrait-on remarquer que les divers problèmes de l’esthétique ne sont pas à ce point solidaires que la solution de l’un doive entraîner automatiquement la solution de tous les autres. Il n’est pas sûr que la connaissance du mode d’élaboration de l’œuvre d’art nous renseigne suffisamment et certainement sur la nature de la beauté ou sur la fonction de l’art. Pas plus sans doute que la composition chimique du sucre ne suffit à expliquer qu’il soit agréable au goût ; pas plus que les procédés mis en œuvre par les raffineurs ne permettent de déterminer à quels besoins physiologiques ou sociaux répond la production de cette denrée. Et, en fait, M. Paschal a bien de la peine à expliquer, d’après sa psychologie du génie, en quoi consiste la beauté d’une œuvre d’art. Une œuvre est belle, dit-il, quand elle nous conquiert et nous absorbe de façon à nous paraître incomparable, parce qu’il n’existe plus rien pour nous à quoi nous puissions la comparer ( !). Peu de personnes penseront que cette conclusion vaille les efforts qu’elle a coûtés à l’auteur… et au lecteur.

Cependant, à défaut d’une esthétique complète, M. Paschal pourrait nous avoir donné une théorie du génie et de l’élaboration de l’œuvre d’art. Ce serait déjà beaucoup. Mais, pour ce qui est du génie, comme il n’est pas une qualité spéciale, mais la personnalité même, portée à un plus haut degré de force et d’éclat, et réalisée, exprimée en une œuvre, expliquer le génie, c’est, selon M. Paschal, expliquer le développement de la personnalité. D’où un long chapitre de psychologie hâtive et un peu fantaisiste, où l’auteur nous montre comment, en général, la personnalité s’éveille, hésite entre plusieurs voies, choisit son idéal, ou trouve sa vocation en ce qui concerne le mode extérieur de sa manifestation. Il resterait à dire comment la personnalité acquiert cette force et cet éclat qui en fait le génie : mais, sur ce point, M. Paschal se contente de nous dire qu’il faut, pour avoir du génie, de la santé, du tempérament, de la raison : ce qui est bien vague et finalement laisse sans solution le problème qui devait donner la clef de tous.

En somme il n’y a d’intéressant en ce livre et d’un peu clair que les cent et quelques pages où, sans beaucoup de profondeur d’ailleurs ni de précision, mais avec assez de documents, M. Paschal nous explique les divers modes de création de l’œuvre d’art, qu’il ramène à trois : la création spontanée, la création systématique, la production artificielle. On eût souhaité, dans le développement de cette théorie, une analyse plus minutieuse et plus méthodique du mécanisme mental mis en jeu dans chaque sorte de création. Mais enfin elle est parsemée d’aperçus intéressants et justes et appuyée de curieuses citations de Gœthe ou de Flaubert. On les lit avec plaisir, sinon avec beaucoup de profit.

Philosophie de l’Éducation. Essai de Pédagogie générale, par E. Rœhrich (ouvrage récompensé par l’Institut). 1 vol. in-8 de 288 p., Paris, Alcan, 1910. – M Rœhrich distingue de la pédagogie pratique, variable avec les sociétés et les caractères individuels des élèves, une pédagogie générale qui est, selon lui, une science, et dérive de la morale et de la psychologie. Son livre est un essai de psychologie générale et comprend deux parties principales. La première porte sur l’éducation indirecte, c’est-à-dire sur la culture du caractère par l’instruction ; elle comprend une étude détaillée de l’attention et des intérêts, et une revue des divers enseignements. La seconde traite de l’éducation directe : discipline scolaire, éducation physique, ascendant de l’éducateur.

Les Émotions et les États organiques, par J. Chabrier. 1 vol. in-8 de 157 p., Paris, Alcan, 1911. — Cette thèse pour le doctorat en médecine est conçue dans un esprit très largement philosophique, avec un souci constant de relier et d’interpréter les observations cliniques, d’en tirer toutes les conclusions qu’elles comportent pour ou contre telle ou telle théorie générale. Elle constitue une sérieuse et excellente discussion de la thèse de Lange et de James, et même une mise au point fort satisfaisante du problème des émotions dans leur rapport avec leurs conditions organiques. – Après avoir établi par quelques exemples frappants la dépendance des émotions à l’égard des modifications corporelles, l’auteur rencontre la thèse soutenue par M. Dumas à propos du sourire, à savoir, que les causes des phénomènes expressifs sont, non pas psychologiques et utilitaires comme les concevaient Spencer ou Darwin, mais purement mécaniques, et qu’ils s’expliquent par le principe de la diffusion de la force nerveuse à travers les muscles selon la ligne de la moindre résistance. M. Chabrier, tout en lui reconnaissant une part