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homme qui a le sens des attitudes intellectuelles. On n’en regrette pas moins la forme discontinue de son livre. Et l’on souhaite aussi que ces programmes multipliés soient bientôt suivis d’applications concrètes de tout ordre. On a hâte de voir l’auteur se conformer plus complètement encore à ses propres conseils.

Pour ce qui concerne la conception de la connaissance exposée dans cet ouvrage, on aimerait des éclaircissements sur deux points. D’abord, quel est le sens exact de cette notion d’expérience ? Ensuite, l’expérience « cognitionnelle » a-t-elle été décrite on termes assez spécifiques pour distinguer la recherche intellectuelle de la délibération intérieure ? Une telle distinction n’est-elle pas donnée dans notre expérience ? Peut-on l’énoncer sans faire appel à cette notion de réalité indépendante que M. Dewey semble bien proscrire ?

The Philosophy of Change, par D. P. Rhodes. 1 vol. in-8 de xxv-389 p., New-York, Macmillan, 1909. – M. Rhodes part de deux principes que, sans les preuves qu’on désirerait, il déclare généralement acceptés : toute expérience particulière est illusoire, — l’expérience doit pourtant posséder quelque signification. Il se demande quelle « signification » elle peut bien posséder, et trouve cette signification dans le changement : la réalité en tant qu’immobile devient synonyme d’impossibilité, tandis que le changement est la seule réalité immuable, unique, homogène et continue. On trouve dans le livre des considérations sur un certain nombre de faits, dont le choix apparaît comme un peu arbitraire, sur le rôle de l’égoïsme, de l’altruisme, de l’amour de la science, sur les rapports de la connaissance et de l’illusion, sur les lois d’un univers hypothétique qui serait privé de toute forme géométrique, et sur les mouvements des cosmoïdes. M. Rhodes propose enfin des conclusions pratiques, une vue rationnelle de la mort, une conception positive de l’immortalité, et pour terminer quelques observations sur la sincérité avec des remarques sur le style qui convient au philosophe.

Theories of Knowledge (Absolutism, Pragmatism, Realism) by Leslie J. Walker, S. J., M. A. 1 vol. in-8 de xxxix-696 p., London, Longmans and Green. 1910. — La théorie de la connaissance, pour M Walker, est une théorie de la vérité et de ses critères fondée sur une psychologie et une métaphysique, bien plutôt qu’une critique au sens kantien du mot ; elle est aussi l’explication de certaines croyances du sens commun plutôt que l’exposé des conditions de la connaissance. C’est avec l’expérience humaine ordinaire que l’auteur confrontera le système absolutiste et le système pragmatiste qu’il combat, le réalisme thomiste qu’il défend. Il faut louer dans le livre l’analyse des données du sens commun, l’exposé de l’absolutisme et du pragmatisme qui toujours indique avec précision les caractères profonds (pour l’absolutisme, théorie des relations, théorie de l’expérience comme « sentient whole » et comme ensemble de totalités senties, — pour le pragmatisme, psychologie unitaire, théorie des postulats et de la relation cognitive, empirisme radical) les critiques souvent utiles, et enfin l’exposé du réalisme thomiste qui est pris non comme une doctrine morte, mais comme une idée susceptible de développement, et capable d’être fortifiée à l’aide des résultats de la psychologie et de la physiologie modernes, à l’aide aussi de la critique contemporaine des sciences. Pour ce réalisme, à l’intérieur du tout systématique qu’est le monde, synthèse de la multiplicité et de l’unité, la connaissance peut s’expliquer comme une action de l’objet sur le sujet, d’une part, et d’autre part comme une abstraction opérée dans les données des sens. La vérité consiste dès lors dans la correspondance de l’idée avec les choses. Le réalisme, s’il accepte les analyses du pragmatisme et de l’absolutisme du moins en partie, les traduit dans le langage de la transcendance.

Dogmatisme pour qui tout acte de perception normalement accompli mérite notre confiance, empirisme qui détermine la connaissance par son objet, scolasticisme qui unit dans l’idée d’une détermination du même par le même les deux idées de substance et de cause, tel est le triple fondement de la doctrine de M. Walker ; telle est aussi la triple présupposition impliquée dans beaucoup de critiques qu’il adresse aux absolutistes et aux pragmatistes ; après avoir montré l’unité de ces doctrines, il a cru pouvoir les combattre, souvent, à l’aide d’arguments que lui fournissait sa propre foi philosophique, et ce qui lui apparaît comme l’expérience ordinaire. — Il resterait à se demander, ce qui n’est nullement prouvé, si le réalisme, l’absolutisme et le pragmatisme se disputent seuls le domaine de l’épistémologie, si le pragmatisme et l’absolutisme anglais ne sont pas des formations très complexes et des doctrines difficiles à opposer l’une à l’autre, autant à cause de leur parenté que de la différence des