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sa forme bien compacte, indigeste et obscure par endroits — d’être à la fois long et incomplet. Que l’auteur, ayant spécialement en vue la philosophie religieuse de Renouvier, n’ait rien dit de sa table des catégories par exemple, on peut à la rigueur se l’expliquer : mais qu’il ait cru pouvoir passer totalement sous silence sa morale, cela a l’air d’une gageure. Il était inévitable, dès lors que M. Arnal méconnût les raisons profondes qui séparent jusqu’au bout, malgré tant et de si éclatantes ressemblances, la pensée de Renouvier, non seulement du catholicisme, mais même du christianisme en général : c’est que Renouvier reste fermement rationaliste en matière de pratique, et que sa morale est par essence la morale de la justice et du droit, défiante irréductiblement à l’égard de toute doctrine d’amour pur, de complet renoncement et de sacrifice. — On peut regretter de même que M. Arnal se soit contenté de chercher dans le personnalisme néo-criticiste une confirmation ou un appui pour l’apologétique protestante, tout heureux d’établir même que sur les points où il y a désaccord, les thèses de la théologie classique sont aussi plausibles que celles du philosophe : on eût aimé à le voir critiquer son auteur d’un point de vue plus intérieur et plus profond. La portée de son livre eût été sans doute singulièrement accrue s’il nous eût montré dans le Renouviérisme la lutte d’un rationalisme vivace et de toutes sortes de tendances déjà pragmatistes ; il se fût expliqué par là ce qui l’a si fort étonné, la répugnance de son auteur à admettre le miracle, alors que, comme il le remarque avec raison, l’intervention de la libre volonté divine dans le cours des phénomènes naturels n’eût fait que correspondre très logiquement à l’intervention de la libre volonté humaine dans le cours des phénomènes historiques.

Éléments de morale sociale (classe de 3e), par L. Appuhn, 1 vol. in-16, xvi-227 p. Paris, Juven, 1908. — Ce petit livre est la suite des Lectures de morale personnelle parues en 1906. Bien que l’auteur soit toujours animé de la même préoccupation – se tenir aussi près que possible des faits et de la vie, — il y a ici, par la nature même des choses, moins d’histoires et plus de principes, un peu moins d’épisodes inattendus et un peu plus de construction systématique. On regrette pourtant que la systématisation n’en soit pas encore assez serrée et que l’auteur n’ait pas essayé de relier par une idée dominante — celle de la solidarité, par exemple, inscrite en tête du programme officiel – toute cette suite de considérations sur les conditions générales de la vie sociale et sur les diverses formes de l’association humaine. Il semble bien que les enfants, et aussi les hommes, ne comprennent véritablement et ne retiennent que ce qui est lié. Un peu plus de soin à poser et à éclaircir d’abord quelques principes très simples et très généraux aurait singulièrement accru la clarté et l’efficacité pratique des idées si judicieuses, si humaines sans déclamation, si démocratiques sans affectation, que M. Appuhn expose au cours de cet excellent petit livre.

Pour le fond, parmi tant de bons conseils donnés d’un ton si juste, on regrette quelque indécision dans la conception que M. Appuhn se fait de la justice. Il semble d’abord la concevoir comme l’ensemble des conditions du maintien de la société et d’une collaboration efficace entre les hommes : c’est à ce titre qu’il parait nécessaire de vouloir l’égalité et la liberté des citoyens. Mais d’autre part la société ne lui parait acceptable à la conscience que si elle est telle que la personne s’y puisse développer librement et dans sa plénitude. De sorte qu’il semble tour à tour définir la justice en fonction de la société dont elle serait la conditions et définir la société en fonction de la justice qui en serait la fin.

Leçons de logique et de morale (Classe d’Elémentaire et Saint-Cyr), par R. Hourtigq. 1 vol. in-12 de 320 p. Paris, Paulin. — On ne peut que louer la clarté et la précision de ces leçons. Bien qu’elles soient parfois un peu succinctes, l’ensemble fait un livre commode et qui rendra des services.

Toutefois on peut regretter, en ce qui concerne la logique, que le souci de la simplicité et de la clarté ait conduit M Hourticq à découper la théorie de la méthode expérimentale en menus morceaux — observation, expérimentation, classification, induction, hypothèse, etc., – dont on voit mal comment ils se raccordent. L’unité de la méthode s’évanouit. Et surtout ce qui devient peu intelligible, c’est la nature de l’induction qui semble posée là comme une opération, spéciale — singulièrement placée entre la classification et l’hypothèse — alors qu’elle n’est que le mouvement général de l’esprit dont toutes les autres opérations sont les degrés successifs.

Les leçons de morale pratique sont tout particulièrement intéressantes, car M Hourticq s’y est efforcé de sortir des généralités édifiantes et de saisir le réel