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Dieu transcendant des religions, c’est à la foi de l’affirmer, il est étranger à la philosophie et ne doit en aucune façon la gêner on l’entraver. Aussi, tant qu’on ne lui demande que des actes de foi en tant que citoyen, Bruno se croit obligé d’obéir, et il loue Luther à Wittemberg, ou se soumet au Saint-Office à Venise ; mais lorsque le cardinal Bellarmin va rechercher dans ses œuvres philosophiques des propositions suspectes et s’adresse à sa conscience de philosophe pour en obtenir la rétractation, Bruno reste inébranlable dans son refus et pousse jusqu’au martyre la fidélité à la vérité et à la raison.


REVUES ET PÉRIODIQUES

L’année philosophique, publiée sous la direction de F. Pillon, rédacteur de la Critique philosophique, dix-septième année, 1906. 1 vol. de 272 p., Alcan, 1997. – I. Victor Brochard : Sur le Banquet de Platon. — Peu de dialogues sont aussi populaires que le Banquet. Nul ne charme davantage les admirateurs de Platon poète, en leur donnant occasion de vanter la souplesse et la variété d’une pensée qui leur est au fond indifférente ; mais, pour l’historien de Platon philosophe, le Banquet est, plein de problèmes. Quelle est la signification exacte des discours successivement prononcés par Phédon, Pausanias, Eryximaque, Agathon, Aristophane, puis par Socrate et Alcibiade ? Quel est leur lien réciproque ? Quel est le rapport du dialogue à l’ensemble de l’œuvre de Platon ? Telles sont les questions que M. Brochard a traitées dans une monographie substantielle qui est un modèle d’érudition pénétrante et claire. Les cinq premiers discours du Banquet sont écrits dans une intention polémique contre les sophistes et contre Aristophane ; les disciples y parodient leurs maîtres. Les discours de Socrate et d’Alcibiade sont apologétiques ; Platon, sans abandonner l’intellectualisme de Socrate, dépasse cependant sa pédagogie en faisant une place au désir du bien, à l’amour de la vertu. C’est pourquoi, en exposant la doctrine platonicienne de l’amour, Socrate cède lui-même la parole à Diotime. Mais, par l’exemple qu’il a donné, Socrate a, sans en avoir eu pleine conscience, préparé cette doctrine de l’amour ; c’est ce qui justifie le discours d’Alcibiade, réponse finale aux discours des disciples des sophistes.

II. G. Rodier : Conjecture sur le sens de la morale d’Antisthène. — Avec Calliclès (ou leur maître commun), Antisthène paraît avoir été l’un des premiers et des plus conséquents représentants du pragmatisme : « Tandis que la plupart des Socratiques puisaient dans la doctrine de leur maître la conviction que la raison est l’essence de la nature humaine, Antisthène concluait de son exemple que l’homme n’est proprement et ne doit être que volonté. »

III. Sur la mémoire et l’imagination affectives, par F. Pillon. — L’intérêt de ce mémoire est double. Il est d’abord de rappeler la place qu’occupent dans la vie affective la mémoire et l’imagination du sentiment, sans pourtant faire de ces fonctions des facultés indépendantes. Mais il est surtout de montrer comment le développement de ces fonctions aide à résoudre des problèmes d’ordre sociologique ou moral, comment elle explique la persistance de la tradition religieuse dont Pascal s’est fait le théoricien, la contagion de l’émotivité que M. Espinas a retrouvée jusque dans les sociétés animales, comment elle permet de donner en morale une place à des notions telles que celles de la sympathie, et de corriger l’abstraction des impératifs formulés par Kant ou par Renouvier.

IV. O. Hamelin : Sur un point du troisième argument de Zénon contre le mouvement. — Du texte d’Aristote, et du commentaire de Simplicius, M. Hamelin conclut à la restitution suivante de l’argument de la flèche : « Une flèche qui est dans un espace égal à elle est ou bien en repos ou bien en mouvement ; or elle n’est pas en mouvement ; donc, etc. — Le temps se compose exclusivement d’instants ; or une flèche qui vole est dans le temps ; donc elle est toujours dans un instant. — Une flèche qui est dans un instant est dans un espace égal à elle ; or une flèche qui vole est dans un instant ; donc, etc. — Une flèche qui est dans un espace égal à elle-même est en repos ; or la flèche qui vole est dans un tel espace ; donc elle est en repos. »

V. Le crépuscule de la morale kantienne, impressions et réflexions sur la crise actuelle, par Lionel Dauriac. — Crépuscule veut dire ici déclin momentané ; M. Dauriac rappelle que le Kantisme n’en est pas, dans notre pays, à son premier crépuscule. En 1865, la Morale indépendante rédigée par MM. Massol, Frédéric Morin et par Mme Coignet, avait tenté, conformément à l’inspiration proudhonienne, de dégager la morale de toute attache avec la religion, et avait combattu les thèses métaphysiques qui paraissaient liées à la morale kantienne.