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Platon à Spinoza, Érigène à saint Thomas. Tous sont à la fois des mystiques et des idéalistes, et tous, si l’on entre dans l’étude approfondie de leur philosophie, apparaissent partagés entre ces deux tendances. Il s’agit, pour M. Blewett, de montrer que ces deux tendances sont, à bien des égards, contraires ; et qu’aucun des grands philosophes que l’on a voulu appeler mystiques ou idéalistes n’est arrivé à les concilier.

M. Blewett (p. 12) décrit deux manières de s’élever à la contemplation de l’Être inconditionné, considéré comme la seule vraie réalité, par opposition au monde des déterminations sensibles. Ou bien on s’applique, à dépouiller progressivement les données de la perception de toutes leurs déterminations, par une série de négations, jusqu’à ce qu’on arrive à une négation qui embrasse la totalité du monde sensible et intelligible, et du même coup à l’appréhension de l’absolument indéterminé dont on ne peut rien dire (non pas même qu’il Est, bien qu’il soit la seule Réalité) : et c’est la démarche propre à la pensée mystique (la « via negativa » des scholastiques) ; — ou bien on ne s’élève à cette suprême Réalité que pour en faire la raison d’être ultime du monde des apparences, la cause génératrice à laquelle elles doivent le degré de réalité qui les distingue les unes des autres : et c’est là, d’une manière générale, ce qu’on appellera Idéalisme. Mais l’histoire des idées nous montre qu’on peut discerner la même opposition au sein de l’Idéalisme : selon que la pensée idéaliste se porte davantage dans le sens de la première tendance ou davantage dans le sens de la seconde, on a deux types de systèmes différents, ou deux points de vue dans un même système : d’une part l’ « Idéalisme abstrait », ou analytique (correspondant à la via negativa) ; d’autre part, l’ « Idéalisme concret », ou synthétique (correspondant à la via affirmativa). – V. pp. 12, 118, 120.

Que si l’on voulait chercher les origines respectives de ces deux tendances si opposées, et si souvent unies chez un même penseur, on trouverait que la première a certes, bien souvent, une origine religieuse (p. 49), mais qu’au fond c’est une exigence logique qui pousse le mystique dans sa recherche du Réel indéterminé, dont on ne peut dire ni qu’il est, ni qu’il n’est pas (p. 217). Au contraire la seconde tendance (l’idéalisme concret) a plutôt un point de départ psychologique, à savoir le fait, pour la conscience, de se saisir comme un « principe actif de synthèse » (p. 251-252). Historiquement, la première se développe surtout soit dans les philosophies primitives, soit au contraire aux époques dites de décadence, sous une influence religieuse ; — tandis que la seconde se manifeste plutôt aux époques moyennes de grande activité constructive (p. 217). Il convient de remarquer en passant qu’on a tort de confondre Panthéisme et Mysticisme : le premier, « théologie de l’immanence absolue », est au bout de la voie suivie par l’idéalisme concret ; l’autre, « théologie de la transcendance absolue », est l’achèvement de l’idéalisme abstrait. — M. Blewett reconnaît la simultanéité et l’opposition des deux types d’idéalisme, non seulement chez des hommes qui ne sont point proprement des philosophes, comme, par exemple, chez le cardinal Newman et chez Wordsworth (voy. l’article The study of Nature) ; mais il en montre le conflit chez Platon, chez Érigène, et jusque dans un système aussi « un » que celui de Spinoza. Il distingue chez Spinoza « deux métaphysiques », l’une tout imprégnée de mysticisme (au sens déjà défini) : c’est l’attitude du Spinoza religieux ( « a man of religion » ) ; l’autre issue du cartésianisme : c’est la philosophie du Spinoza cartésien, et conquis à la discipline scientifique moderne ( « a man of naturalistic temper » ). V. p. 196. — La conclusion que M. Blewett tire de ces études est celle d’un chrétien qui garde pour Hegel un culte avoué : à la tendance qui se manifeste par l’idéalisme abstrait, il fait correspondre le « besoin religieux » qui pousse l’homme à se détacher d’un monde de crime et d’injustice, pour se réfugier dans le repos contemplatif où l’âme s’absorbe dans l’Être absolu ; — tandis qu’à la tendance opposée répond le « besoin scientifique », si l’on regarde les lois naturelles comme la manifestation d’un créateur et ordonnateur analogiquement conçu à l’image de la conscience humaine. L’opposition se résout en une synthèse qui supprime l’antagonisme tant de fois dénoncé entre Science et Religion ; synthèse qui ne peut se réaliser qu’au sein d’une pensée pour qui « le monde est en connexion organique avec Dieu, les choses du Temps avec celles de l’Éternité ; et les conditions de notre vie actuelle avec le plan divin. » (V. en particulier l’article The completing of Idealism.)

Il problema del Bene. Ricerche sull oggetto della morale. 1 vol. in-8 de xvi-246 p., Turin, Clausen, 1907. — Il faut distinguer, selon M. Trivero, l’histoire de la morale (ou plutôt des mœurs), la science de la morale, et enfin la philosophie morale (mieux vaudrait dire : la métaphysique).