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C’est précisément sa grandeur d’être à la fois un peuple d’intériorité et d’extériorité. Intériorité : le mysticisme allemand si profond et si populaire, la réforme allemande, si immédiate et si personnelle ; la philosophie allemande, cet effort unique pour comprendre du dedans le monde ; la musique allemande et le lyrisme qui entr’ouvrent les profondeurs de l’âme et prêtent une voix à toutes les âmes. Extériorité : la domination du monde visible et le déploiement d’une civilisation de travail.

Certes, cette dualité n’est pas sans danger ; l’excès d’intériorité peut conduire à la dispersion, au vague sentimentalisme : l’extériorité, au travail servile, à l’érudition sans âme. On convient que de tels excès se sont produits.

Mais la puissance de l’esprit allemand est dans l’unité de ces contraires : travail aimé pour lui-même, dévouement à la profession, plein don de soi-même à sa tâche. Les œuvres sont animées par un esprit ; et cet esprit aspire à la réalisation ; il ne se contente pas des rêves, des ébauches. Grandeur, sincérité, originalité, tels sont les fruits de cet idéalisme réalisateur.

Esprit indispensable à l’humanité ; ne risque-t-elle pas de se perdre dans son amour immodéré de la force pour elle-même ; à ce mouvement désordonné, l’Allemagne oppose un repos qui consolide la vie humaine : l’intériorité allemande donne un sens à la vie et aux œuvres de l’humanité.

Tel est ce plaidoyer, dont le seul défaut est de passer sous silence l’événement qui l’a rendu nécessaire. Car ce que l’on voudrait savoir, ce n’est pas si l’Allemagne a été grande dans le passé, ni si son essence complexe explique son histoire d’autrefois ou s’explique par elle, mais comment sa grandeur en a fait un monstre, et comment la dualité de sa nature explique le crime d’aujourd’hui. Le présent ne nous révèle que trop, sous la figure effrayante du crime, ce mélange de profonde rêverie intérieure et de volonté de conquête que dégage l’analyse de M. Eucken. La question grave, c’est de savoir si le mélange, si le dosage des éléments ont été faussés ou non par l’effet de circonstances historiques. Si l’Allemagne est, comme nous le croyons, responsable de la guerre, et coupable dans la guerre, combien il devient dangereux pour elle que ses penseurs s’évertuent à montrer qu’elle n’est aujourd’hui que ce qu’elle a été, ce qu’elle sera toujours ! La seule excuse que lui voient ceux qui admirent certains aspects de sa grandeur passée, c’est qu’elle serait devenue, par une sorte de vertige, infidèle à ce qu’elle avait de meilleur, c’est que le mauvais principe aurait altéré le bon. Rien ne saurait être présentement plus grave pour l’Allemagne que de la peindre conforme aujourd’hui à son essence éternelle ; ainsi son crime, avec le danger de crimes nouveaux, elle le porterait avec elle toujours, et l’humanité, à laquelle on la proclame si nécessaire, devrait, pour rester humaine, abroger à jamais cet esprit. On voit combien une apologie peut être dangereuse et comment M. Eucken, pour avoir voulu esquisser dans l’éternité, au-dessus de l’histoire présente, une justification de l’Allemagne, peut donner à penser aux gens les moins prévenus que son esprit est redoutable. Il est vrai que sans doute, M. Eucken, comme M. Wundt, s’imagine l’Allemagne innocente, assaillie par un monde de criminels et barbares ennemis.

De ce plaidoyer l’actualité est absente ; non pas absolument pourtant. Elle apparaît en traits légers et malheureux. « Jean Paul a dit jadis avec un sérieux amer : les Anglais ayant pris la mer et les Français la terre, à nous Allemands que nous reste-t-il, que l’air ? On ne pouvait savoir alors qu’un Zeppelin viendrait et donnerait aux Allemands en réalité la maitrise de l’air. » (P. 8.) C’est parce qu’ils ne connaissent que la vie anglaise, avec ses aspirations utilitaires, c’est parce qu’ils la tiennent pour le type de la vie européenne, que les Indous estiment qu’une telle vie ne vaut pas la peine d’être vécue (p. 18), s’ils étaient colonie allemande, comme ils penseraient autrement ! Et que penser de la réflexion suivante : « Nous faisons des jouets d’enfant pour tout l’univers. Cela n’est possible que parce que nous savons entrer dans l’âme de l’enfant, et cela même, parce que nous avons au fond de l’âme quelque chose d’enfantin, de simple, d’originel. » (P. 13.)

REVUES ET PÉRIODIQUES

Przegbad filosoficzny (Revue philosophique, XVIe année, 1913).

A. Zielenczyk : La place de Henri Struve dans l’histoire de la philosophie polonaise.

Struve définit les caractères fondamentaux de la philosophie polonaise de la manière suivante : 1o une tendance vitale grâce à laquelle les principaux facteurs de la philosophie, c’est-à-dire le criticisme et la conception générale du monde deviennent avant tout des moyens pour satisfaire certains besoins de la nation dans un moment historique donné ; 2o une