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question ne regarde pas la philosophie ; s’il a pour nous des sentiments quelconques, c’est une question que nous ne pouvons résoudre par la raison seule. L’élan vital ne garantit pas non plus la fraternité humaine. La philosophie de l’évolution créatrice présenterait plutôt les différentes formes revêtues par la vie comme des adversaires en pleine lutte. D’où vient donc alors le grand attrait de cette philosophie, la profonde séduction qu’elle exerce sur les âmes, d’ailleurs à juste titre ? C’est qu’elle seule nous garantit un vrai libre arbitre, qu’elle seule nous reconnaît un pouvoir créateur absolu. « Elle est, conclut M. Wildon Carr, la réfutation définitive du calvinisme, qui a pesé si lourdement sur l’esprit humain. Il est vrai que le calvinisme a cessé d’être croyable sous la forme absurde d’une théologie anthropocentrique ; mais toute notre conception scientifique en est encore profondément imprégnée. La science ne voit dans le changement qu’un tour du kaléidoscope ; la philosophie déclare qu’il est la réalité d’une nouvelle création. » Ceci est-il bien fidèle aux idées de M. Bergson ? On peut en douter. Il est incontestable qu’une philosophie qui transporterait ainsi dans l’homme le pouvoir créateur, pour qui Dieu serait la prolifération universelle, la joie de vivre et de changer, aurait tous les droits à se déclarer l’ennemie du calvinisme. Mais ce ne serait pas assez dire : elle serait aussi l’antithèse absolue de toute l’idée chrétienne.

The Ethical Implications of Bergson’s Philosophy, par Una Bernard Sait (Columbia University contributions). 1 vol. in-8 de 183 p., New-York, The Science Press., 1914. — On trouve dans ce volume un exposé, fidèle mais assez diffus, des principales idées de la philosophie de M. Bergson. Le volume se divise en trois parties. On ne voit pas bien en quoi les deux premières parties sont distinctes l’une de l’autre : la première intitulée l’expérience et la réalité étudie la durée, l’intuition, la signification de la réalité et renferme un chapitre sur la morale ; la seconde étudie la perception, la mémoire, la liberté et l’évolution créatrice. La troisième partie est plus proprement sociale et morale. L’auteur observe que la philosophie de M. Bergson a ses origines dans l’étude de la science, et dans une certaine tendance esthétique plutôt que dans un besoin moral. Elle essaie de montrer en quoi, malgré la négation de causes finales, la théorie de la détente dans le processus vital, et de la genèse de l’extension, la philosophie de M. Bergson comporte des conséquences morales. Mais les conclusions morales que l’auteur tente d’établir restent très vagues, par exemple : « La bonne conduite est dirigée par la reconnaissance de valeurs qui sont telles par suite de leurs relations avec les tendances du principe dynamique de vie. » Elle insiste sur le fait que la vie morale est essentiellement développement, sur l’importance morale de la sympathie. — « Le tort de la philosophie bergsonienne est dit-elle, de ne pas avoir accordé à la société le rôle auquel elle a droit, d’avoir trop exclusivement insisté sur la vie individuelle. »

Ueber den wahrhaften Krieg, par W. Wundt, 1 vol. in-16 de 40 p., Kröner, Leipzig, 1914. — « Une guerre véritable est celle qu’un peuple entreprend contre l’ennemi qui veut lui ravir sa liberté et son indépendance. » La liberté et l’indépendance d’un peuple c’est la possibilité pour lui de développer ses forces au service de la civilisation humaine. Doucement et pacifiquement l’Allemagne remplissait cette tâche ; mais elle était guettée par des ennemis implacables qui lui ont imposé la guerre, la guerre véritable.

Qu’on n’aille pas parler des menaces de l’Autriche à la Serbie, de la violation de la neutralité de la Belgique. Non ; depuis longtemps nos ennemis armaient contre nous et nous n’armions que pour nous défendre. La jalousie commerciale de l’Angleterre, le chauvinisme français, le panslavisme, de tout cela Sir Edward Grey a tiré la guerre présente, réalisant le plan d’Edouard VII ; et, s’il a proposé des conférences d’ambassadeurs pour chercher les moyens d’éviter une guerre inévitable, c’était pour donner aux Russes et aux Français le temps de se préparer. L’Angleterre est la grande coupable ; elle est tout entière complice de ce crime.

Et c’est ce qu’il y a de triste ; car les Anglais ont beau avoir changé depuis les jours de la vieille Angleterre, ils sont encore fort apparentés aux Allemands. « Qu’importent après cela les Belges qui, dans leur aveuglement téméraire, ont fait cette guerre pour, en fin de compte, prouver au monde entier leur incapacité d’exister comme État ? » (p. 18). Qu’importent après cela les Français, aveuglés par leurs politiciens, dignes de notre pitié malgré leurs injures ? Et la Russie, dont nous ne pouvions attendre autre chose ? Ainsi contre le peuple pervers de l’utilité et de l’argent, l’Allemagne accomplit son devoir sacré, sa sainte guerre.

Du côté des ennemis de l’Allemagne tout est mensonge : mensonge l’intervention de la Russie en faveur de la Serbie,