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des Vierges aux Rochers, paraissent à l’auteur infiniment moins vrais au point de vue de la psychologie criminelle, bien qu’offrant encore des types curieux de « dégénérés supérieurs ». En passant, Scipio Sighele dénonce comme « heureusement non italienne » la théorie du Surhomme. Les études sur Françoise de Rimini, cette « exacte reproduction d’une période historique ; sur la fille de Jorio (ou « le crime d’un mystique » ) ; sur la lumière sous le Boisseau (étude de « succube » ) font connaître, avec une analyse littérairement plus souple (Scipio Sighele y oublie fort heureusement un peu qu’il y est psychiâtre) des œuvres moins connues du public français. Et voilà pour d’Annunzio. — Eugène Sue vient ensuite, étudié comme un « précurseur » de l’anthropologie criminelle dans les portraits physiques de ses assassins et escarpes, et les intuitions psychologiques des caractères (le « Chourineur » des Mystères de Paris est longuement analysé). — Zola enfin termine la série (hérédité et complicité de milieu dans les Rougon-Macquart ; l’obsession homicide des épileptiques dans le Jacques Lantier de la Bête humaine ; criminalité des foules dans Germinal). — Les deux derniers chapitres posent les deux questions si actuelles de « la Suggestion littéraire » du crime et de la littérature autour des grands procès ». La suggestion littéraire parait indéniable à l’auteur et il en analyse de nombreux cas ; la littérature reflète sans doute le milieu, mais elle en propage aussi les maladies ; mais si « un livre peut avoir été une des innombrables causes qui déterminèrent un suicide ou un crime, autre chose est d’attribuer à l’auteur de ce livre toute la responsabilité de ce qui est arrivé et de la traîner devant le tribunal de l’opinion publique, comme on traîne devant les tribunaux ordinaires un mandant ou un instigateur » (p. 166). Les auteurs ne doivent pas être rendus responsables des effets de leurs livres, mais simplement « du but’, de l’intention de leur œuvre » (p. 188). Question de simple pédagogie et de choix des livres adaptés à l’âge et au tempérament des lecteurs. Question de saine mentalité aussi chez l’écrivain, pour lequel « il s’agit — tout simplement — d’avoir un but moral devant soi et qu’on le sente à travers toutes les pages de l’œuvre d’art » (p. 190), même la plus objective et la plus réaliste. C’est la même solution de bon sens que l’auteur apporte dans la question de la presse. Le prestige du mal est certain, et il y en a qui l’exploitent. L’intérêt psychologique et social — réel pourtant — qu’il peut y avoir à l’étude du crime est loin d’expliquer à lui seul le goût pathologique actuel pour les grands crimes. Le résultat le plus triste est peut-être que (contrairement à la loi de spécialisation des fonctions) le public, sur la foi de quelques articles de journaux, se croit capable de juger tel procès avec la belle assurance des incompétents superficiels (p. 202). Et Scipio Sighele reprend cette idée — si discutable — de l’école italienne des « salles sévères et sereines de la science » remplaçant nos tribunaux que trouble le cri de la foule. Il flétrit ce match qui s’établit entre la presse et le parquet, cette « apothéose du crime », où conduit le reportage judiciaire, le criminel sacré grand homme. Mais il s’élève au nom du « simple bon sens » contre la tentation de réduire la presse au silence, car la presse reflète et ne crée pas les goûts du public » (n’avait-il pas dit plus haut qu’elle les propage ?) : « le remède est en nous », « dans la réaction de toute notre énergie », « dans une œuvre d’éducation » (p. 218-219).

Il sentimento giuridico, par Giorgio del Vecchio, 1 vol. in-8 de 26 p., 2e édition, Roma, Brocca, 1908. — Représentant du néo-kantisme juridique en Italie, G. del Vecchio considère que « l’origine et la nature de la conscience du juste est essentiellement un problème d’ordre métaphysique ». L’explication historique, sociologique du droit ne détruit pas, mais perpétuellement présuppose son existence comme idée. Si la conscience est un produit du monde, le monde est aussi un produit de la conscience. Comme idée, le droit n’a pas d’origine historique, il est lié essentiellement à la personnalité, et se développe, se réalise avec elle. — Mais cette théorie métaphysique ne préjuge en rien, selon del Vecchio, l’analyse du sentiment juridique comme donnée psychologique et de ses fonctions propres. De nature à la fois affective et idéologique, le sentiment juridique est présupposé : par la considération même historique du droit, comme une vocation de la conscience ; par l’ordre juridique existant, pour l’intelligence et l’observance de ses normes ; par le développement des lois et des coutumes, qui reflètent un sentiment juridique dominant. Ce dernier est d’ailleurs, non un Volksgeist, mais le résultat d’une lutte entre les consciences individuelles. Le sentiment juridique peut entrer en conflit avec le droit positif et devenir alors perturbateur, révolutionnaire. Il peut juger les lois et les coutumes, les déterminations juridiques actuelles, auxquelles la justice est liée non nécessairement, mais